Prière de M. l’Abbé Legris-Duval
Voici une Prière sur l’aumône sous la forme d’une méditation sur nos devoirs envers les pauvres « Et comment, ô mon Dieu, les pauvres ne seraient-ils pas des êtres sacrés pour le chrétien ? » de Monsieur l’Abbé René-Michel Legris-Duval (1765-1819), Prédicateur qui apprenant la condamnation à mort de son Roy se rendit à Versailles avant de se présenter à la Commune de Paris et dit : « Je suis Prêtre, j'ai appris que Louis XVI venait d'être condamné à mort ; je viens lui offrir les Secours de mon Ministère » et devint ainsi le confesseur du Roy Louis XVI.
La Prière de l’Abbé Duval « Et comment, ô mon Dieu, les pauvres ne seraient-ils pas des êtres sacrés pour le chrétien ? » :
La Religion Catholique nous impose par ses Commandements les plus exprès, les plus solennels et les plus souvent répétés, comme par ses plus douces et magnifiques Promesses, de grands devoirs envers les pauvres. Elle nous ordonne de les soulager, de les respecter, de les aimer.
1° Soulager les pauvres :
« Le riche et le pauvre se sont rencontrés » , dit l'Esprit-Saint ; « l'un et l'autre sont l'ouvrage de Dieu » (Pr 22, 2).
Si Dieu est également leur Père, il n'a pu sacrifier l'un à l'autre, ni refuser au pauvre le nécessaire, pour donner au riche un superflu qui ne servirait qu'à sa perte. Cependant, vous, riches, vous jouissez de tous les biens de la nature, et vous en ignorez les travaux et les misères. Tout ce qui peut satisfaire vos sens, flatter vos goûts, charmer votre vie, vous est acquis. Mais le pauvre, votre frère par la nature et par la Grâce, comme vous créé à l’Image de Dieu, racheté de son Sang et destiné à le posséder ; le pauvre, ah ! C’est pour lui que les saisons ont des rigueurs, et que la terre produit des ronces et des épines. Hélas ! Et en se consumant de travaux, à peine peut-il suffire au soutien de sa malheureuse famille ! Tandis que le présent vous sourit, que l'avenir vous est assuré, le pauvre, plus grand que vous devant Dieu, s'il sanctifie son abaissement par la résignation et par la foi ; le pauvre songe en tremblant, chaque matin, que le soir peut-être, ses enfants lui demanderont du pain, et qu'il ne pourra leur répondre que par ses larmes. Il prévoit que le jour où ses bras refuseront le travail, il ne lui restera de refuge que dans ces hospices ouverts par la charité publique. Et encore, seul et ignoré, sans protection sur la terre, pourra-t-il même obtenir d'aller mourir dans ce dernier asile de toutes les misères humaines ? Et c'est vous, grand Dieu, Dieu bon et juste, c'est vous qui avez établi ces différence s! Ah ! Que l'incrédule se scandalise de cette triste inégalité des conditions ; pour nous, le précepte de la charité vient en éclaircir le mystère. Vous voulez, ô mon Dieu ! Que le pauvre ait besoin de la charité du riche, et que le riche ne puisse se passer de l'industrie et de l'activité du pauvre. Vous voulez qu'il existe entre eux un commerce de services et de bienfaits, de dépendance et de bonté, de travaux et de récompenses, pour que les membres de la société, liés l'un à l'autre, nécessaires l'un à l'autre, comme les membres d'un même corps, ne forment qu'une famille sous les yeux du Père commun, en attendant l'ordre parfait, où le pauvre sera dédommagé des peines inséparables de sa condition, et où il ne restera d'autre inégalité que celle des mérites et des vertus.
Chrétiens, qui jouissez des Dons de Dieu, n'oubliez donc jamais que vous n'êtes ni grands ni riches pour vous-mêmes. Votre mission est d'achever l'œuvre de Dieu, de justifier sa Providence.
« J'étais » , dit un saint Patriarche, « l'œil de l'aveugle, le pied du boiteux, le soutien de la veuve, le père de l'orphelin ; la bénédiction du malheureux prêt à périr venait se reposer sur moi » (Jb 29, 13)
Ô gloire, ô bonheur mille fois au-dessus de toute gloire et de toute grandeur de la terre ! Le riche qui se dégrade lui-même de ce privilège vraiment divin, a perdu toute sa dignité.
2° Respecter les pauvres :
Ce n'est pas assez de soulager le pauvre, vous devez le respecter et l'honorer dans votre cœur. Mais quoi ! Est-ce bien dans ce siècle de cupidité que nous oserons dire ces choses ? Dans ce siècle où la richesse est presque devenue la seule distinction que l'on connaisse ; où l'on n'estime les hommes que par l'or qu'ils possèdent, sans même leur demander compte des moyens dont ils se sont servis pour l'acquérir ? Oui, c'est à la face de ce monde que l'amour désordonné des richesses corrompt et abaisse, que nous voulons proclamer solennellement les belles maximes de l'Évangile, et répéter après Bossuet :
« Si, dans le monde, les riches tiennent les premières places, dans le Royaume de Jésus-Christ le premier rang appartient aux pauvres ; si dans le monde les pauvres sont soumis aux riches et ne semblent nés que pour les servir, dans la Sainte Église les riches n'y sont admis qu'à la condition de servir les pauvres ; si dans le monde les grâces et les privilèges sont pour les puissants et les riches, dans l'Église de Jésus-Christ les Grâces appartiennent de droit aux pauvres, et les riches ne les reçoivent que par leurs mains ».
Gloire et bénédiction, au nom de l'humanité tout entière, à la Foi de Jésus-Christ, qui imprime au malheur ce caractère auguste, et sous les lambeaux de l'indigence nous fait découvrir un être sacré.
Et comment, ô mon Dieu ! Les pauvres ne seraient-ils pas des êtres sacrés pour le chrétien ? Vous-même, Vous avez été pauvre ; Vous n'aviez pas où reposer votre Tête ; Vous avez voulu naître dans une étable et mourir dépouillé sur une Croix, pour consacrer dans Votre personne l'éminente dignité des pauvres et les humiliations de la pauvreté. Ô Pauvres de Jésus-Christ ! C’est ainsi que la religion vous honore.
3° Aimer les pauvres :
Là se trouve le miracle le plus touchant de la puissance de notre foi : l'amour des pauvres, l’Amour de Jésus-Christ dans leur personne, parce qu’Il a dit : « Celui qui reçoit un de ces petits en mon Nom, me reçoit Moi-même » (Mt 18, 5).
Âmes pieuses qui connaissez Jésus-Christ et qui avez goûté quelque Don de son Amour, si vous aviez vécu dans les jours de sa Vie mortelle, dans la terre heureuse qu’Il sanctifia par sa Présence, n'auriez-vous pas envié le sort de Marthe, de Marie, de Lazare, de Zachée, qui eurent le bonheur de Le recevoir en leur maison ? Le voici qui vient frapper à votre porte dans la personne du pauvre abandonné, de l'orphelin délaissé, de l'innocence exposée à toutes les séductions de la misère.
Ouvrez-leur, accueillez-les, aimez-les. Toutes les vertus des pauvres sont amères et difficiles : la première vertu des riches c'est la miséricorde et l'amour, et vous commander de faire des heureux, n'est-ce pas vous commander de le devenir vous-même ?
Heureux, mille fois heureux les pères qui laissent à leurs enfants des noms consacrés par l'amour religieux des pauvres ! Heureuses les familles où ces touchantes vertus se perpétuent de génération en génération, comme le plus précieux des héritages !
Ainsi soit-il.
Abbé René-Michel Legris-Duval (1765-1819)
Voir également de M. l'abbé Legris-Duval :
La Prière de l’Abbé Legris-Duval à une mère après la mort de son enfant « Ô mon Consolateur, Vous ne condamnerez pas les larmes d'une mère, Vous qui avez pleuré sur la mort d'un ami »
La Prière de l’Abbé Duval « Ô Dieu, envoyez cet Esprit de Force qui peupla l'Eglise de héros »
La Prière de l’Abbé René-Michel Legris-Duval sur nos devoirs envers les pauvres « Et comment, ô mon Dieu, les pauvres ne seraient-ils pas des êtres sacrés pour le chrétien ? »