La Prière de Mgr Godeau « Seigneur, j'ai été guéri en Vous découvrant mon mal » :

« Il me semble encore, Seigneur, que Vous avez les armes dans les mains pour me perdre, que l'Enfer est ouvert pour m'engloutir, que ma conscience m'accule et me condamne. Il me semble que toutes les créatures s'élèvent contre moi et Vous animent à la vengeance ; que les Démons me reprochent qu'ils n'ont commis qu'un péché, et que le nombre des miens est infini ; que les Cieux, les éléments, et les animaux m'accusent de m'être révolté contre Celui auquel ils obéissent. Enfin l'image de mes crimes est si fort imprimée dans mon esprit, que j'ai de la peine à croire que je sois échappé du danger où ils m'avaient mis. Mais je Vous offense, ô mon Dieu, et suis injurieux à votre Gloire, si je doute plus longtemps de mon bonheur. J'ai comparu devant Votre trône comme rebelle, je puis maintenant m'y présenter comme Votre sujet. Vous y étiez assis comme Juge ; Vous aviez les tourbillons de feu, les vents, et les tonnerres à Vos côtés, pour exécuter Vos arrêts ; et je Vous y vois à cette heure avec une Majesté qui me donne plus de respect et d'amour, que de terreur. La Patience et la Miséricorde sont assises auprès de Vous, il ne m'est pas seulement permis d'approcher, Vous venez au-devant de moi pour m'embrasser et me donnez le baiser de paix de la même bouche qui me devait condamner. J'ai adouci Votre colère, avouant que j'ai mérité ces plus cruels effets : Vous avez laissé tomber la foudre aussitôt que mes yeux ont laissés couler quelques larmes : j'ai été guéri en Vous découvrant mon mal ; et Vous m'avez remis toutes mes dettes, quand j'ai promis d'essayer de Vous satisfaire. Ô mon âme, quel doit être ton regret d'avoir offensé un Dieu qui ne venge point, qui souffre qu'on Le méprise, et qui ne s'enfuit pas quand on Le recherche ; qui se hâte de faire du bien à des ingrats ; et diffère de jour en jour à punir les coupables ; qui se contente des moindres offrandes, et qui donne à ceux qui Lui doivent. Serait-il possible que Tu aimasses en esclave celui qui T'aime en Père ? Que ce ne soit qu'à cause qu’Il te peut punir, que tu ne Le veux pas offenser ; et que si tu pouvais espérer qu'Il souffrît tes injures, tu Lui en fis tous les jours de nouvelles ? Quoi, Seigneur, Vous m'avez donné la vie, et je n'en consacrerais pas toutes les minutes à Votre service ? Vous m'avez tiré du néant ; et je ferais tout ce qui me serait possible pour rentrer dans le néant, je veux dire le péché ? Vous avez eu soin de moi, sans avoir besoin de moi ; et je n'aurais pas soin de chercher votre Grâce, dont je ne me puis passer. De toute éternité Vous avez voulu que je fusse en Vous, me préparant l'être et ses faveurs que j'ai reçues depuis ; et je ne voudrais pas que Vous fussiez en moi, par l'obéissance et la fidélité que je suis obligé de Vous conserver ? Vous avez quitté votre Gloire pour l'amour de moi, et je ne voudrais pas quitter le sujet de ma honte pour l'amour de Vous ? Vous me présentez la Main pour me retirer du précipice ; et au lieu de L'adorer, je L'attacherais encore sur la Croix ? Non mon Sauveur, je ne tomberai point dans une ingratitude si noire, et un aveuglement si déplorable. Les glaces de mon cœur se sont fondues ; il était de pierre, maintenant il est de chair ; les traits de votre Amour y entrent sans peine ; la douleur qu'ils lui font le contente, et il n'appréhende rien tant que de ne plus la sentir. Le dirai-je, ô mon Dieu, et pardonnerez-vous ce transport à mon amour. S'il était possible que Vous perdissiez votre Puissance, et que les hommes pussent Vous offenser impunément ; je demeurerais néanmoins toujours fidèle à Votre service, et je croirais être obligé de Vous aimer, parce que Vous seriez Bon. Ô Bonté incréée ! Ô Bonté incompréhensible ! Je Vous consacre mon cœur, mes pensées, mes paroles, et mes actions. C'est pour Vous aimer que je me veux haïr moi-même. C'est pour Vous que je renonce à mes délices, que j'embrasse la sainte pénitence, et que je vais commencer une vie toute nouvelle. Si je ne suis plus cet ingrat, cet aveugle, ce rebelle que j'étais ; ô Bonté infinie, ce changement est un de Vos miracles. Vous faites que je lève les yeux vers le Ciel comme vers le Palais que j'espère posséder, et non plus comme vers le lieu d'où je craignais de voir descendre mon Juge, et mon supplice. Vous faites que le repos de ma conscience est un doux sommeil, et non pas une léthargie mortelle ; que je marche sur les épines sans me plaindre d'être piqué, et que je quitte les voluptés lorsqu'elles se présentent à moi avec plus de charmes. Pourrais-je être insensible à tant de Grâces ? Serait-il possible que la lumière que Vous m'avez fait trouver me dégoûtât, que je ne pus souffrir la santé que Vous m'avez rendue, et que je reprisse les chaînes que Vous venez de rompre. Si Vous ne continuez à m'assister, ce malheur n'est pas seulement possible, il est inévitable. Couvrez-moi donc de Vos ailes, ne détournez jamais Votre vue de dessus moi, ne Vous endormez point tandis que ma barque est sur la mer de ce monde, afin que je ne fasse point naufrage, et que ma dernière erreur ne soit pire que ma première ; afin que je ne lasse pas Votre patience, et que la mesure de mes iniquités étant comblée, Vous ne me laissiez point à la merci des désirs de mon cœur. »

Ainsi soit-il. »


Mgr Antoine Godeau (1605-1672) – « Méditations sur le Très-Saint Sacrement de l’Autel pour servir à toutes les heures du jour et de la nuit, aux Adorateurs perpétuels de ce Mystère » , p. 181-185, chez Théodore Muguet (1697)

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Voir également de Mgr Antoine Godeau :
La Prière de Mgr Antoine Godeau « Seigneur, éclairez mon esprit dans mes entreprises »
La Prière d’Antoine Godeau « Seigneur, prête toujours l'oreille à ma juste prière »
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