Prière du Révérend Père Louis Le Valois (s. j.)
Voici une Prière pour nous préparer en ce temps de l’Avent à la Naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ « Seigneur, j'irai au pied de Votre crèche pour connaître toute la profondeur de mes plaies » du Révérend Père Louis Le Valois (1639-1700), Prêtre jésuite professeur de philosophie à Caen puis Recteur du collège de Caen qui va ouvrir la Maison des retraitants en 1682 à côté du noviciat des jésuites rue du Pot-de-fer.
La Prière du R. P. Louis Le Valois « Seigneur, j'irai au pied de Votre crèche pour connaître toute la profondeur de mes plaies » :
« En quel état, Seigneur, Vous vois-je réduit ? Vous, né dans une étable, couché dans une crèche, enveloppé dans de pauvres langes ! Est-ce Vous, ô Roi de gloire ? Cette étable, est-ce le palais où Vous deviez être reçu ? Cette crèche, est-ce le berceau où Vous deviez reposée ? Ces langes sont-ils les marques de souveraineté et de grandeur que Vous deviez porter ? Que vos Jugements, mon Dieu, sont différents des nôtres, et qui peut sonder Vos conseils impénétrables ! A juger de votre Naissance par les vues de la chair, il n'y a rien que d'abject, rien que d'humiliant ; mais à la considérer avec les yeux de la foi, tout y est merveilleux, tout y est grand. C'est le chef-d’œuvre tout ensemble et de votre Sagesse, et de votre Puissance, et de votre infime Miséricorde. Jamais ces adorables Perfections ne se firent mieux connaître. Le dirai-je, Seigneur ? Jamais Vous ne fûtes plus Dieu, ou plutôt jamais Vous n'avez plus agi en Dieu qu'en Vous faisant homme. Il fallait une Sagesse égale à la Vôtre pour trouver un moyen si excellent de rapprocher Dieu de l'homme et de rapprocher l'homme de Dieu ; de venger la gloire de l'un et de ménager les intérêts de l'autre ; en un mot, de détruire le péché, et de sauver les pécheurs. Quelle Victime était plus digne de votre Père que Vous-même ? Et comment pouviez-Vous mieux satisfaire à sa Justice, et réparer l'injure que l'homme Lui avait faite, qu'en Vous servant pour cela de notre humanité, et tirant ainsi du mal même le remède ? Il y a plus, Seigneur ; et puisque Vous n'avez pas tellement voulu Vous charger de notre salut, que nos soins n'y fussent plus nécessaires, quelle règle pouviez-Vous nous donner plus courte, plus sensible, plus parfaite que votre Exemple ? Si Vous étiez seulement Dieu, Vous n'auriez pu ni souffrir et acquitter nos dettes par Vos souffrances, ni Vous faire voir à nous, et nous marquer par Vos traces le Chemin que nous devons prendre. Si Vous étiez seulement homme, tous vos Mérites n'auraient pu compenser une seule de nos offenses ; et d'ailleurs, sujet comme le reste des hommes à l'erreur, Vous n'auriez pu être pour nous un Guide infaillible. Mais parce que Vous êtes tout à la fois et un Dieu homme et un homme Dieu, rien ne manque ni ne peut manquer de Votre part à cette Rédemption surabondante où le monde entier est compris, et qui suffirait pour mille autres mondes. Il n'y avait qu'une Puissance sans bornes comme la Vôtre qui pût exécuter ce grand Dessein. Ô Union incompréhensible ! Ô merveilleuse communication de qualités et de noms ! En conséquence de cette Union ineffable, tout ce qui se dit de l'homme se peut dire de Dieu : qu'Il a été conçu dans le temps, qu'Il est né d'une femme, qu'Il est enfant, passible, infirme, sujet à la mort. Tout ce qui se dit de Dieu se peut dire de l'homme : qu'il est avant tous les temps, qu'il a été engendré dans la splendeur des Saints, qu'il est le Créateur du monde et le Seigneur de toutes choses. Tellement, ô Dieu homme et homme Dieu, que Vous êtes tout à la fois tout-puissant et faible, infini et borné, éternel et mortel, maître et dépendant, riche et pauvre, glorieux et obscur, jouissant du suprême bonheur et ressentant toutes nos misères. N'est-ce pas là le plus grand effort de la vertu céleste ? N'est-ce pas le plus grand ouvrage de la main du Très-Haut ? Enfin, il n'y avait qu'une Bonté infinie et telle que la Vôtre qui pût Vous engager de la sorte à déployer en notre faveur et dans toute son étendue Votre souveraine Puissance. En étiez-Vous moins Grand depuis tant de siècles ? En étiez-Vous moins Heureux depuis quatre mille ans que l'homme était sous la servitude de l'enfer et qu'il languissait dans ce triste esclavage ? Le seriez-Vous moins dans la suite ? Et si mon salut n'avait pas glorifié votre Miséricorde, ma damnation éternelle n'aurait-elle pas glorifié votre Justice ? Les droits de l'une Vous sont-ils moins chers que ceux de l'autre ? Et ne Vous engageait-elle pas, cette Justice souveraine, à punir des rebelles indignes de votre Grâce et dignes de tous Vos châtiments ? Ah ! Seigneur, qu'avez-Vous donc trouvé en moi qui dût Vous intéresser pour moi ? Hélas ! Vous n'y voyez que faiblesse, qu'infirmité, que péché ; mais, mon Dieu, ce sont ces mêmes infirmités, ces mêmes misères qui ont excité votre Compassion. Plus Vous en avez vu, et plus Vous y avez été sensible : Vous avez consulté votre Cœur, Vous avez écoulé votre Amour, et votre Amour a fait taire votre Justice. Ô Amour efficace, puisqu'il Vous fait descendre du Ciel même pour nous ! Ô Amour anéantissant, puisqu'il Vous réduit à naître parmi nous et homme comme nous ! Ô Amour intime et tendre, puisqu'il Vous unit si étroitement à nous ! Ô saint et parfait Amour ! Que n'allume-t-il, mon Dieu, dans mon cœur le même amour pour Vous ! J'irai, Seigneur, j'irai au pied de Votre crèche. Tout pécheur que je suis, Vous m'y recevrez, puisque ce sont les pécheurs que Vous venez chercher. Si ce ne sont pas Vos anges qui m'y appellent comme les pasteurs, votre Grâce m'y conduira et j'y trouverai encore une Grâce toute nouvelle et plus abondante. Elle m'ouvrira les yeux pour connaître toute la profondeur de mes plaies, qui Vous coûtent tout à guérir. Elle me touchera le cœur pour me rendre docile aux divins enseignements que Vous me donnez dès votre Naissance, et sensible aux reproches que Vous me faites. Ô Dieu pauvre ! Ô Dieu humilié ! Ô Dieu souffrant ! Quelle leçon pour moi, et quel sujet de confusion que votre Exemple ! Vous naissez dans la pauvreté et dans un dénuement entier de toutes choses, et moi je veux vivre dans l'abondance. Si tant de fois je me suis soustrait à l'obéissance que demande votre Loi, n'a-ce pas été pour une fortune périssable et pour un intérêt temporel dont j'étais idolâtre ? Vous naissez dans l'obscurité, et quoi je veux vivre dans l'éclat. Si tant de fois j'ai trahi ma conscience et je me suis révolté contre Vos ordres, n'a-ce pas été pour une vaine grandeur, dont je me laissais éblouir et où je voulais m'élever ? Vous naissez dans la souffrance, et moi je veux vivre dans le plaisir. Si tant de fois, aux dépens de tous mes devoirs, je me suis porté à des excès dont je rougis devant Vous, n'a-ce pas été pour suivre les inclinations de la chair corrompue et pour contenter mes sens ? C'est mon Dieu, cette contradiction qui me fait trembler, c'est ce qui me saisit de frayeur à la vue de votre Crèche. Dans mon Sauveur je trouve mon Juge, et dans mon salut ma condamnation. Car comment puis-je espérer, Seigneur, d'être glorifié comme Vous dans le Ciel, si je ne suis pas semblable à Vous sur la terre ? Y a-t-il un autre Nom que Celui de Jésus-Christ par où je puisse être sauvé ? C'est en portant le caractère du premier Adam et de l'homme terrestre que je suis pécheur ; et ce n'est qu'en portant les caractères du second Adam et de l’Homme céleste, qui sont les Vôtres, que je puis être justifié. Il faut donc, ô mon Dieu, pour me donner celle divine Ressemblance, ou que Vous changiez, ou que je change. Il faut ou que Vous me donniez un autre Evangile à suivre, un autre exemple à imiter, ou que je prenne une conduite toute nouvelle. Mais, Seigneur, Vous ne pouvez Vous démentir Vous-même ; et par conséquent il n'y a point de salut pour moi si je ne renais tout de nouveau avec Vous, ou si je ne Vous fais naître tout de nouveau en moi. Vous n'êtes né en effet qu'une fois dans l’étable de Bethléem ; mais tous les jours Vous pouvez naître spirituellement en nous. Vous pouvez naître dans mon esprit en le détrompant de toutes les erreurs du monde, de tous les préjugés du monde, de la vaine estime dont il s'est laissé prévenir pour le monde, et en lui faisant prendre au contraire, en y établissant Vos saintes Maximes. Vous pouvez naître dans ma mémoire en y effaçant le souvenir du monde et toutes les idées du monde, et en y gravant votre Loi et la sainte Doctrine que Vous nous venez enseigner. Vous pouvez naître dans mon cœur en le dégageant de toutes les affections du monde et en l'attachant pour jamais à Vous. Vous le pouvez, Seigneur, et Vous le ferez : je le puis faire avec Vous, et je le veux. Oui, mon Dieu, je veux Vous donner en moi une seconde naissance. J'y veux faire mourir le monde, et dès à présent je prononce contre lui, en y renonçant, le même arrêt que Vous avez prononcé dans la Crèche en le réprouvant : je veux lui être crucifié, et qu'il me soit crucifié. C'est Votre ennemi, Seigneur : cela me suffit. Dès là je le méprise, et je le fais ainsi mourir dans mon esprit. Dès là je l'oublie, et je le fais ainsi mourir dans ma mémoire. Dès là je le hais, je l'abhorre, et je le fais ainsi mourir dans mon cœur. Plus d'autre Maître pour moi que Vous-même, plus d'autre règle de conduite que vos Paroles et vos Actions. Plus de vie qu'en Vous, que par Vous, que pour Vous, afin de vivre et de régner éternellement avec Vous. »
Ainsi soit-il.
R. P. Louis Le Valois (1639-1700) – Œuvres spirituelles du P. Le Valois « Entretien sur la Nativité », pages 1-10, chez H.-L. Guérin et L.-F. Delatour, 1758
Voir également du Révérend Père Louis Le Valois :
- La Prière du R. P. Louis Le Valois « Seigneur, j'irai au pied de Votre crèche pour connaître toute la profondeur de mes plaies »
- La Prière du R. P. Le Valois pour la Fête de la Pentecôte « Venez, Esprit-Saint, sanctifiez-moi comme Vous êtes Saint »