Le « Chemin de la Croix pour les personnes endeuillées » de Mgr Louis-Désiré Bataille :
PREMIÈRE STATION : Jésus condamné à mort
On condamne à mort Celui que Dieu chérissait comme l'objet de ses éternelles complaisances, que Marie aimait comme on aime un enfant unique, Celui que nous devons tant aimer nous-mêmes.
Dieu y a consenti, Marie s'est résignée, les disciples ont pleuré, mais leurs larmes étaient remplies d'espérance.
Ô mon Sauveur ! Quand la voix du médecin, les progrès de la maladie et des alarmes de nos cœurs nous ont dit que cet être cher, qui n'est plus, était aussi condamné sans retour, que de douleurs au dedans de nous ! Peut-être avons-nous été injustes, et le murmure s'est-il échappé de nos lèvres. Faites que désormais nous comprenions que, sous cette rigueur apparente de vos impénétrables desseins, il y avait de la miséricorde ; persuadez-nous que nous en aurons plus tard la preuve évidente, et donnez-nous, mon Dieu, de remplacer nos plaintes d'alors par la résignation d'aujourd'hui : Nunc, Nunc, Domine, secundum voluntatem tuam fac mecum.
DEUXIÈME STATION : Jésus chargé de sa Croix
Qu'elle est pesante, mon Dieu, qu'elle est douloureuse aussi, celle qu'a value à ma vie cette cruelle épreuve de sa séparation ! Parfois je vais au cimetière ; j'y lis, sur une épitaphe, tous les titres qu'avait à mon affection et à mes regrets la chère âme dont je pleure le départ. A côté, je vois les noms des personnes qui brillaient de santé et de force, il y a quelques années, et qui m'attendent dans la mort ! Mais soyez béni, j'y trouve aussi une Croix ! Une Croix, au moins, c'est le signe de la Foi ! Je l'arrose de mes larmes, ne pouvant comme Vous l'arroser de mon sang. Oh ! Daignez y mêler le baume de votre Grâce, et qu'elle soit pour moi, mon Dieu, mon plus beau titre à la gloire : In Cruce vita !
TROISIÈME STATION : Jésus tombe une première fois
Qui n'a pas senti cette défaillance quand, à travers des sanglots, la voix d'une navrante réalité est venue dire, devant le cadavre d'un être bien-aimé : « Il est mort ! » Pour moi, mon Dieu, je n'oublierai jamais dans quels abimes de tristesse, de découragement et de désespoir, est tombée alors ma pauvre âme. J'étais désolé jusqu'à mourir. Mais Vous m'avez dit : « Le calice n'est point bu ; il faut vivre et méditer encore ! » et Vous m'avez tendu la main, et, soutenu par votre miséricordieuse puissance, mon Dieu, je me suis relevé, voulant donner à ce fardeau de ma vie des mérites et une espérance de plus. Oh ! Faites que je m'en souvienne désormais ; avec Vous, tout est facile ici-bas : Omnia possum in co qui me confortat.
QUATRIÈME STATION : Jésus rencontre sa sainte Mère
Mère de douleurs, c'est une mère comme vous, et comme vous frappée dans ce qu'elle avait de plus cher au monde, qui lève vers vous ses yeux noyés de larmes. Quelles ne furent pas vos angoisses, quand les vôtres ont rencontré, sur cette route funèbre, le regard divin de Jésus, déjà couvert des voiles de la mort !
Et moi aussi, j'ai vu, j'ai baigné de mes pleurs des yeux près de s'éteindre à toujours. Vous savez s'ils m'étaient chers, ô Marie ! Ô vous qui avez connu plus que moi cette déchirante épreuve, au nom de vos maternelles souffrances, prenez pitié des miennes, unissez-les aux vôtres, et sanctifiez ce qu'elles ont d'amer, en les rendant propices à ceux que je ne cesse de pleurer : Fac me tecum pie flere.
CINQUIÈME STATION : Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter sa Croix
Quelquefois, mon Dieu, la pensée me vient que peut-être ceux que j'ai aimés, et que votre impénétrable volonté a ravi à mon amour, sont là, dans les sentiers douloureux du Purgatoire, abandonnés de leurs meilleurs amis, comme Vous dans le chemin du Calvaire, et manquant aussi de ce soulagement qui leur serait si utile. Oh ! Je veux être pour eux le Cyrénéen de la Passion, afin, mon Dieu, que jamais l'écho de leurs plaintes n'arrive comme un reproche jusqu'à moi, et ne m'applique cette triste parole du Prophète : « Pourquoi m'avez-vous délaissé :·Quare me dereliquisti ?
SIXIÈME STATION : Une Femme pieuse essuie la Face de Jésus
L'amitié sainte, la compassion d'une pauvre femme, essuyèrent ce divin visage, ruisselant, ensanglanté, couvert de larmes.
Mon Dieu, lorsque l'enfant, l'époux, la mère que j'aimais, était dans sa dernière agonie, ma main tremblante a pu, elle aussi, essuyant la sueur froide qui inondait son front, soulager un peu son humanité défaillante. Ah ! Puissé-je, par mes prières, par l'empressement que j'ai mis à appeler la Religion, cette grande et unique consolatrice du trépas, puissé-je avoir aidé votre Grâce à essuyer les souillures de leur âme, à donner du calme à leurs angoisses, à adoucir leurs regrets et à leur mériter ce repos qu'aucune larme, aucune faiblesse, aucune souffrance ne peut troubler : Neque luctus, neque clamor, neque dolor erit ultra !
SEPTIÈME STATION : Jésus tombe une seconde fois
Ceux que je pleure sont d'abord tombés de la santé dans la maladie ; ils ont été étendus sur le lit des douleurs, eux auparavant d'une santé si robuste ; ce fut leur première chute. La seconde, hélas, n'est-ce pas lorsque, de la maladie, ils sont tombés dans la mort ? J'ai vu se fermer à jamais ce regard qui s'était tant de fois reposé sur le mien ; j'ai vu se glacer ces lèvres qui m'avaient dit tant et de si douces paroles d'affection ; ce cœur qui battait pour moi s'est arrêté tout à coup... Je me trompe, mon Dieu, il vit au Ciel, et c'est encore pour moi, car c'est là que l'âme se relève, quand l'homme qui tombe est Chrétien : Ubi est, mors, victoria tua ?
HUITIÈME STATION : Jésus console les femmes d'Israël qui Le suivent
« Pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ». Telles furent alors vos Paroles, ô Jésus ; soyez mille fois Béni ! Je puis donc, dans ma douleur, pleurer aussi sur ceux qui restent. Les larmes que je répands sur ces pauvres orphelins, sur moi-même, sur tout ce qui survit au cher trépassé, ne sont donc point coupables ? « Non, me répond le Sauveur, non, pourvu que tu dises toujours : Vous l'avez voulu, Seigneur, je me soumets ; non, pourvu que dans ton délaissement tu te confies à mon amour. Tes larmes, alors, unies à Celles que j'ai versées sur Lazare, seront dans ce monde un adoucissement à tes regrets et, dans le Purgatoire, un soulagement à ses souffrances ».
NEUVIÈME STATION : Jésus tombe une troisième fois
De la santé dans la maladie, de la maladie dans la mort, de la mort dans la tombe ; ce fut la troisième chute de ces êtres bien-aimés que je pleure. Leur corps est là, dans la poussière et dans la nuit, ô mon Dieu, plus que Vous-même dans votre dernière prostration sur le chemin du Calvaire. Mais je sais, avec Job, qu'au Dernier Jour ces membres retrouveront la vie ; le même sang circulera dans les mêmes veines, la même âme animera le même corps, ce même sourire régnera sur les mêmes traits. Glorifiés, je l'espère, le front rayonnant de l'éclat, de la splendeur des Saints, ils me chercheront dans la foule des Ressuscités ! Ô mon Dieu, donnez-moi de les y rejoindre pour ne les plus quitter jamais !
DIXIÈME STATION : Jésus dépouillé de ses vêtements
On leur a aussi enlevé ces vêtements qui tiennent peut-être trop de place dans mes affections ; un linceul a remplacé des ornements qui ne sont à cette dernière heure qu'un tourment de plus. Mais qu'importe, si leurs bonnes œuvres les couvraient comme un manteau, et si la robe de l'innocence et de la grâce a revêtu leur âme purifiée, quand elle est allée devant Vous, ô Dieu des miséricordes ? Faites que moi-même je ne m'attache point à ces frivolités d'un jour, que je méprise tout ce qui n'est pas Vous, et que mon détachement d'ici-bas me soit un titre de plus aux richesses et aux splendeurs de l'Éternité.
ONZIÈME STATION : Jésus attaché à la Croix
Ces coups de marteau, dont le bruit sourd a retenti si douloureusement dans le cœur de ceux qui Vous aimaient, ô mon Sauveur ; ce sont, pour moi, les cris, les plaintes, les gémissements qui ont marqué sur leur calvaire, je veux dire sur leur lit de mort, les derniers moments de ces bien-aimés qui ne sont plus ! Oh ! Comme ils traversaient aussi mon cœur ! Que de déchirements et que de tortures ! Permettez, mon Dieu, que je Vous les offre aujourd'hui. Les plaies qu'ils m'ont faites ne sont point fermées encore ; placez-y, comme des clous sacrés, la foi, la charité, l'espérance : croire, attendre et Vous aimer, n'est-ce point la vie ?
DOUZIÈME STATION : Jésus-Christ meurt
C'est à ce moment suprême, ô mon Jésus, que Vous avez dit à celui qui souffrait près de Vous cette ravissante Parole : « Aujourd'hui même, tu seras avec moi dans le Paradis »
Ah ! Consolons-nous ! Quand la mort frappe à nos côtés ceux qui nous sont chers, c'est bien là aussi le suprême Au revoir que nous adresse leur dernier soupir : « A bientôt ! Ce n'est qu'un court moment d'absence ; la vie n'est qu'un jour et l'Éternité ne finit pas. Un peu de courage, beaucoup de résignation, et demain vous serez avec moi dans d'interminables délices : Hodie mecum eris in Paradiso ».
TREIZIÈME STATION : Jésus détaché de la Croix est remis à sa sainte Mère
Oui, il est cruel le moment où une pauvre mère ne peut plus baiser que le front glacé de son enfant ; cruel, quand elle le serre dans ses bras et qu'il est sourd à sa parole ! Mais, ô Vierge, quel déchirement pour vous, pour vous qui avez vu mourir Jésus sans pouvoir même adoucir ses dernières douleurs ! Moi, du moins, on s'est empressé autour de moi, on a compris mes larmes, quand la mort m'a ravi mon époux, mon enfant ou mon père, on y a compati avec affection ; et vous, pauvre et divine Mère, vous fûtes obligée de cacher dans la nuit vos inexprimables douleurs, pour ne point entendre les Juifs ajouter l'insulte à la barbarie. J'ai autour de moi d'autres enfants, d'autres parents que je puis aimer et qui combleront, s'il est possible, le vide creusé dans mon cœur par la mort ; vous, ô Marie, vous êtes restée seule au monde ! Moi, je suis coupable et j'ai mérité ces angoisses ; vous êtes Sainte et Immaculée !
Arrêtez donc mes murmures, ô Vierge, et que la Volonté de Dieu soit faite : Non mea voluntas sed tua fiat.
QUATORZIÈME STATION : Jésus déposé dans le Sépulcre
C'est donc là qu'ils reposent aussi, à ce moment où je pleure sur eux, ces tendres parents que j'ai vus vivre, marcher, prier, sourire, et m'aimer comme je les aime ! Sous six pieds de terre, dans l'ombre et le froid du tombeau, leur corps n'est plus qu'un amas de poussière dont l'aspect me ferait reculer d'horreur. Hélas ! Et c'est ce que je serai moi-même dans vingt ans, dans dix ans, l'année prochaine, dans quelques jours peut-être !
Mais qu'importe ! Qu'importe au fils du pauvre ce que deviennent les hardes de son indigence, lorsque admis au palais des Rois, il est revêtu des insignes de sa dignité nouvelle ? Qu'importent au reclus les murs écroulés de sa prison, lorsqu'il jouit de la délivrance et de la liberté ? Laissons dormir ces corps que le Jugement saura réveiller et embellir de nouveau, et en attendant, songeons à l'âme ! Comme Vous, ô Jésus-Christ, elle a triomphé de la mort. Elle vit, elle règne, elle goûte la récompense de ses vertus, elle Vous aime, elle prie pour les exilés qui iront, ô mon Dieu, la rejoindre un jour, Vous louer avec elle, Vous bénir, Vous posséder, et Vous rendre grâces dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Monseigneur Louis-Désiré Bataille (1820-1879) –
« Vingt Exercices du Chemin de la Croix » :
Chemin de la Croix particulièrement appliqué aux personnes qui pleurent la perte de leurs parents ou de leurs amis, pages 379-393, à la librairie Bataille à Lille en 1880
Voir de Monseigneur Louis-Désiré Bataille, Évêque d'Amiens :
- Le
« Chemin de la Croix du Vendredi Saint » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix avec la Sainte Église Catholique » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix avec la Très Sainte Vierge Marie » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix pour tous les Fidèles » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix pour les Mères Chrétiennes » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix pour la Jeunesse » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix pour les Riches » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix pour les Pauvres » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix pour les Âmes pieuses et ferventes » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix pour les Âmes du Purgatoire » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix comme préparation à la Mort » de Mgr Louis-Désiré Bataille
- Le
« Chemin de la Croix pour les personnes endeuillées » de Mgr Louis-Désiré Bataille