Voici l’Homélie du Dimanche de Lætare « La vie en rose » donnée par le Frère Louis-Marie Ariño-Durand (o.p.) du Couvent des Dominicains de Bordeaux le 4ème Dimanche de Carême 10 mars 2024
Rassurez-moi, frères et sœurs : vous non plus, vous n’aimez pas le rose ? Il est pourtant difficile d’en faire l’économie en ce 4ème dimanche de Carême, le dimanche de Lætare, c’est-à-dire réjouissez-vous. Nos ornements sont de cette couleur. C’est ainsi. Des goûts et des couleurs, on ne discute pas… surtout pour celles que l’on n’aime pas. Même l’indicible beauté des saris fuchsia des Pakistanaises, entrevus dans les champs de blé vert au printemps, ne m’a pas réconcilié avec le rose. Normal, le rose, c’est une couleur de filles. Les joueurs du Stade Français nous disent le contraire, mais ma nièce, du haut de ses 5 ans est formelle : c’est une couleur de fille. Là, c’est moi qui vous rassure, les services sociaux sont alertés de l’existence de ma nièce, ce monstre genré, et de ses parents qu’il faudra sans doute rééduquer.
Le rose, pourtant, il fait partie de notre enfance, de notre vie. Il y a bien une panthère de cette couleur. Les Bisounours lui ont emboité le pas. Et même un mois, pour une noble cause, en a pris la couleur. Et si nous sommes passés à côté de tous ces rose, nous avons été immanquablement rattrapés l’an dernier par –toujours selon les goûts– un feu d’artifice (ou un tsunami !) de rose : le film Barbie que plus de 6 millions de Français ont vu. Un monde tout rose, parfait ad nauseam, qui tout à coup se grippe et s’arrête lorsqu’est prononcé un mot : la mort. (Ça y est, j’ai tué l’ambiance)
La mort. En voilà un gros mot que l’on ne veut pas entendre. Et pourtant, s’il y a bien une chose dont nous soyons sûrs et certains, c’est que nous allons mourir. Nous sommes dans une société absolument paradoxale : la mort est niée et en même temps les forces mortifères semblent nous assaillir. Ce n’est pas la vie en rose. Il faut résister pour ne pas se laisser happer par la tristesse, devant l’étrange impression parfois, pour reprendre les mots des paroissiens de Pontmain deux jours avant l’apparition, que le Bon Dieu il ne nous écoute pas.
La mort. C’est ce que mérite le peuple infidèle qui va de profanation en abomination. Evidemment, toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence. Et il va devoir partir en exil, une mort à petit feu. Mais le Seigneur est fidèle. Il attendra réparation puis redonnera la vie. Ce peuple a la nuque raide… et la mémoire courte. Le psaume 136 de ce jour ne nous invite-t-il pas à nous souvenir, au non-oubli ?
La mort. C’est ce que méritent les Hébreux au désert. Ils ont été, une fois de plus rebelles et infidèles. Alors Dieu leur envoie des serpents brûlants qui les déciment. Bien entendu, ce serpent de bronze élevé dans le désert qui sauve ceux qui le regardent est une annonce du Christ crucifié qui sauve l’humanité entière. Mais il n’est pas que cela. Il est une invitation, une injonction pour les exilés du désert : il faut qu’ils regardent le mal en face.
Et nous ? Nous tournons la tête. Nous nous taisons, polis ou gênés, ou les deux à la fois. Et le serpent jubile. Jésus a bien raison et son jugement est terrible pour qui veut bien l’entendre : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Le serpent jubile et je présume que vous sentez bien qu’il est à l’œuvre.
Deux événements récents, me l’ont fait pressentir avec violence. Le premier ? La cérémonie des Césars du cinéma, il y a deux semaines. Cela fait bien longtemps que je ne regarde plus cette célébration de l’entre soi parisiano-woko-bobo. À Bordeaux, nous sommes tellement à l’abri de tout cela. Une séquence de 7 minutes a retenu toute mon attention : la prise de parole de Judith Godrèche. Elle sera sans doute la première étonnée de se retrouver citée dans une homélie. Elle parle d’une voix douce, assurée. Elle parle des abus qu’elle a subis et nous sommes suspendus à ses lèvres. Deux phrases tombent comme des couperets : Nous sommes trop nombreux et Je vous vois mais je ne vous entends pas. Son propos est d’une dignité admirable. La dignité, voilà un mot, mais surtout une réalité, qui disparaît du paysage. Et le serpent a peur. Oh, ça ne dure pas bien longtemps, 7 minutes. Il va pouvoir continuer à distiller son venin et son œuvre de mort.
Le second est plus diffus. Il concerne l’avortement dont nous avons tant entendu parler ces derniers jours. Je me souviens d’un dîner où, fait exceptionnel, le sujet est abordé. Je prends volontairement un exemple extrême et pose la question suivante : Mais qui tuerait un petit de huit ou neuf mois de grossesse dans le sein de sa mère ? Ma voisine de table, étudiante en médecine, me répond, avec un naturel glaçant : mais moi ! Ce n’est pas tous les soirs que l’on dîne avec Mengele… Il en a rêvé. Nos députés l’on fait. L’image n’est pas de moi. Regardez les discours du pape François sur le sujet et vous m’en direz des nouvelles. Ils sont 72 –72, ça ne vous rappelle rien ? – 72 à avoir résisté au déferlement de haine à leur encontre qui ne fait que commencer. 72 résistants pour qui l’honneur n’est pas un vain mot. L’honneur, un terme, une réalité qui disparaît elle aussi du paysage. Et le serpent jubile.
Pourquoi citer aujourd’hui ces deux événements ? Tout simplement parce qu’ils ont en commun un élément fondamental : le mépris de la victime parce que l’on nie sa souffrance. Celle de l’enfant ou de l’adulte abusé, celle de l’enfant à naître, celle de la femme qui avorte. On tourne la tête, on se bouche les oreilles et on se tait. La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Rien d’étonnant à ce que Jésus pleure sur Jérusalem.
Il va falloir faire un choix, frères et sœurs : regarder le mal en face, le nommer et choisir la Vie. Sinon, nous ne serons qu’un jouet entre les crocs du serpent. Nous voilà avertis. Et faire un choix, ce n’est pas facile.
Permettez-moi, ne serait-ce que pour détendre un peu l’atmosphère, de terminer par une anecdote plus légère. C’est, dans un pays lointain, l’histoire d’un jeune homme riche, intelligent et beau. Il ne sait pas s’il doit répondre à un appel à la vie religieuse dominicaine ou bien s’il doit choisir la voie du mariage. Les prétendantes se bousculent, évidemment. Et voilà que les reliques de sainte Thérèse de Lisieux passent dans sa paroisse. Ces histoires de fleurs, de roses, ce n’est pas trop son truc, mais il s’y rend quand même et il fait cette prière devant la chasse : Sainte Thérèse, ok, je me rends. Je vais vous demander des fleurs, des roses. Si elles sont blanches, je serai dominicain. Si elles sont rouges, je me marie. À son retour dans l’appartement en colocation, un splendide bouquet de roses l’accueille. Leur couleur ?... Rose !! La réponse de Dieu à sa question est simple : mon garçon, c’est toi qui fais ton choix.
Paroissien de saint Paul, ma sœur, mon frère, c’est toi qui fais tes choix. Ne détourne jamais ton regard de la souffrance d’autrui. Le mal, il faut le nommer en toute vérité. Il faut l’affronter, avec la grâce de Dieu. Et il sera vaincu, le prince des ténèbres.
Penses-y dans quelques minutes, lorsque nous chanterons, avec ferveur, l’anamnèse : nous attendons ta venue, dans la gloire.
Il est plus que temps, oui, viens Seigneur Jésus !
Amen.
Fr. Louis-Marie Ariño-Durand, o.p. – Homélie du Dimanche de Lætare « La vie en rose », le 4ème Dimanche de Carême 10 mars 2024
Voir également du Fr Louis-Marie Arino-Durand :
- « Le Rosaire : une Prière pour le Carême ! » du Fr Louis-Marie Arino-Durand
- Le Livre du Frère Louis-Marie Ariño-Durand « Rosaire un jour, Rosaire toujours ! »
- Le site Rosarium « Priez, Vivez, Prêchez le Rosaire ! » du R. P. Louis-Marie Ariño-Durand
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- L'Homélie du Dimanche de Lætare « La vie en rose » du Frère Louis-Marie Ariño-Durand
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Le Livre du Sanctuaire de Notre-Dame de Pontmain « Pontmain, couleurs d’espérance » du Frère Louis-Marie Ariño-Durand