Voici une Prière qui paraphrase le Psaume 4, celle d'une âme chrétienne qui vient d'éprouver une disgrâce « Continuez, grand Dieu, de me regarder avec ces Yeux de Miséricorde » de Mgr Jean-Baptiste Massillon (1663-1742), Oratorien, Professeur, Évêque de Clermont-Ferrand et grand Prédicateur qui prêcha en 1700 l’Avent à Versailles devant le Roy Louis XIV.
La Prière de Mgr Massillon qui paraphrase le Psaume 4 « Continuez, grand Dieu, de me regarder avec ces Yeux de Miséricorde » :
Ps 4, 1 : Le Dieu de ma justice m'a exaucé dans le temps que je L'invoquais : lorsque j'étais dans l’angoisse, Vous m'avez dilaté le cœur
« En vain, ô mon Dieu ! Je Vous protestais tous les jours que je regardais le monde et toute sa gloire comme un monceau de boue, et que Vous seul suffisiez à une âme qui a le bonheur de Vous posséder : je ne connaissais pas mon cœur, et je me séduisais moi-même. Je tenais encore par mille liens secrets et insensibles à ce monde trompeur que je semblais mépriser ; j'aimais encore ses biens, ses honneurs, et tout cet amas de fumée qui s'est dissipé en un instant. Mais l'accablement profond où la perte de ces objets frivoles vient de me jeter, me découvre enfin ces dispositions criminelles que je me cachais à moi-même, et que Vous voyez depuis si longtemps au fond de mon cœur. Il me fallait un grand coup pour me réveiller de cet assoupissement funeste. Vous l'avez frappé, grand Dieu, ce Coup de Miséricorde ; et fortifié, éclairé par votre Grâce, j'ai plus senti de honte de mon erreur et de mon infidélité, que de douleur de mon infortune. Vous vouliez être, ô mon Dieu, mon Tout, mon unique Ressource ; aussi dès que je me suis tourné vers Vous dans l'amertume de mon cœur, et que je Vous ai invoqué, Vous n'avez pas consulté votre Justice qui demandait, qu'ayant cherché de vains appuis hors de Vous, Vous m'abandonnassiez à moi-même. Vous êtes venu promptement à mon secours, Dieu de Bonté ; et un rayon de Joie et de Lumière a lui aussitôt au milieu de la sombre tristesse de mon cœur, et en a dilaté et adouci le serrement et l'amertume ».
Ps 4, 2 : Ayez pitié de moi et exaucez ma prière
« Ne vous lassez pas, grand Dieu, de Vous communiquer à Votre créature, et de soutenir ma faiblesse. Pour moi, je ne me lasserai point d'implorer votre Secours. Continuez, grand Dieu, de me regarder avec ces Yeux de Miséricorde qui ne mesurent pas vos Bienfaits sur l'indignité, mais sur les besoins de ceux qui Vous prient. Ayez pitié de ma misère : et faites-moi sentir encore plus vivement, que la perte de tout ce que le monde donne n'est rien : qu'on a tout, lorsqu'on est à Vous, et qu'on ne saurait rien perdre, tandis qu'on Vous possède encore ».
Ps 4, 3 : Jusqu'à quand, ô enfants des hommes, aurez-vous le cœur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ?
« Ô enfants des hommes, qui courez avec tant d'empressement après une fortune qui vous échappe toujours, et qui vous laisse encore mille choses à désirer quand vous l'avez trouvée ; jusqu'à quand votre cœur se laissera-t-il séduire par une illusion, dont votre expérience devrait vous avoir détrompés ? Jusqu’à quand aimerez-vous vos inquiétudes et vos chaînes ? Le bonheur que vous cherchez n'est plus qu'un poids qui vous accable, dès que vous y êtes parvenus. Vous sentez multiplier vos soucis, à mesure que le monde vous multiplie ses faveurs ; de nouveaux désirs naissent de ceux que vous venez de voir accomplis. Le monde vous croit heureux : mais la jalousie, mais la prospérité d'autrui, mais ce qui manque encore à votre ambition, mais le vide même de tout ce que vous possédez, et qui ne saurait jamais satisfaire l'immensité d'un cœur que Dieu seul peut remplir ; mais le dégoût même, qui suit toujours la possession de ce qu'on avait le plus désiré, mais le cri de la conscience, qui vous reproche sans cesse et les voies injustes par où vous êtes parvenus à ce que vous désiriez, et l'usage criminel que vous en faites ; mais la pensée même que tout s'enfuit, que la vie la plus longue n'est qu'un instant rapide, demain on va vous redemander votre âme ; mais tout cela ensemble est un ver secret qui vous dévore sans cesse, et qui empoisonne toute cette vaine félicité qui trompe les spectateurs, tandis qu'elle peut vous rendre heureux, et vous séduire vous-mêmes. Pourquoi sacrifiez-vous donc votre âme, votre salut éternel, votre Dieu, à des objets dont vous ne pouvez vous empêcher de sentir vous-mêmes le faux, la vanité, le néant ? Aimez Celui seul qui peut donner tout ce que l'on désire, et dont l'Amour tout seul fait le véritable bonheur de ceux qui L'aiment ».
Ps 4, 4 : Sachez que c'est le Seigneur qui a rempli son Saint d'une gloire admirable : le Seigneur m'exaucera, quand j'aurai crié vers Lui.
« Que ne puis-je m'appeler ici moi-même en témoignage ? Depuis que revenu des erreurs et de l'indignité des passions, je me suis efforcé de conformer ma vie à la Sainteté du Christianisme, dont je suis encore si éloigné, le Seigneur n'a pas laissé d'opérer dans mon âme des merveilles inconnues aux amateurs du monde. J'ai senti au dedans de moi la paix, la joie, le calme que le monde et tous ses plaisirs n'avaient jamais pu me donner. Le monde lui-même a vu le prodige de mon changement, et il s'en est moqué ; et il a cherché dans la faiblesse et dans la légèreté de mon esprit les raisons d'un événement qui ne prenait sa source que dans les Lumières descendues d'en haut, et dans la force et dans la douceur de la Grâce. Le Dieu de Miséricorde ne m'a pas fait même attendre longtemps cette Faveur signalée. A peine me suis-je tourné vers Lui ; à peine touché de mes égarements, ai-je fait entendre au pied de son Trône, mes cris, mes prières et mes larmes, qu'Il s'est rendu à moi : Il a consolé mon affliction, ou plutôt Il m'a fait trouver des douceurs ineffables dans l'amertume de mon repentir et de ma douleur ».
Ps 4, 5 : Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher : soyez touchés de componction dans le repos de vos lits.
« Enfants des hommes, esclaves du monde et des passions, imitez mon Exemple. Entrez en indignation contre vous-mêmes, de vous être laissés si longtemps abuser par des illusions qui ne peuvent séduire que des enfants et des insensés ; regardez avec horreur l'opprobre et l'indignité des liens, dont vous vous faisiez autrefois une gloire déplorable, mais dont vous ne sentez plus depuis longtemps que la pesanteur et l'infamie. Tournez contre ceux qui vous ont séduits par leurs persuasions, ou par leurs scandales, l'aversion que vous témoigniez pour les gens de biens, lorsqu'ils vous donnaient de saints exemples, ou des avis charitables. Changez cet amour excessif d'un corps que vous avez fait servir jusqu'ici à l'ignominie, en une haine salutaire. Vous ne pécherez plus, dès que vous haïrez la source et l'instrument de tous vos crimes. Mais souvenez-vous que ce n'est ni le dégoût, ni la lassitude, qui forme ces dispositions saintes. On peut être lassé des plaisirs sans les détester ; on peut en sentir le vide, sans en sentir l'énormité et l'infamie. Interrogez votre cœur : il peut être rassasié du crime, sans être changé et touché de la vertu. Mais si la Miséricorde de Dieu a opéré en vous ce changement sincère ; mais si vous sentez et l'outrage que vos passions ont fait à Dieu, et l'avilissement où elles vous ont fait tomber vous-mêmes, ah ! alors vous ne garderez plus de mesures dans votre douleur, les jours ne suffiront pas même à l'amertume et à l'abondance de vos larmes ; elles suspendront votre sommeil durant le silence de la nuit. Ce temps paisible, dont vous aviez fait autrefois un temps de dissolution et de tumulte, et dont le repos et les ténèbres avaient fourni tant de facilités à vos crimes, ne serviront plus qu'à laisser plus de cours et plus de loisir à votre douleur ».
Ps 4, 6 : Offrez à Dieu un sacrifice de justice, et espérez au Seigneur
« Mais souvenez-vous que Dieu n'aime pas les sacrifices imparfaits ; rendez-Lui tout votre cœur que vous aviez prostitué avec tant d'abandonnement aux créatures ; ne ménagez point vos démarches en Le servant, comme vous ne les avez point ménagées en servant le monde ; portez sur le bûcher la victime tout entière. Le démon vous a possédé si longtemps sans partage ; et vous ne vous donneriez qu'à demi au Seigneur, à qui vous appartenez, et qui réclame Sa créature ? Vous ne Le servirez avec plaisir, que lorsque vous Le servirez sans réserve. Mais aussi, dès que vous L'aurez rendu Maître de tout votre cœur, la joie, l'espérance, la confiance naîtront au fond de votre âme. Le souvenir de vos crimes ne s'offrira à vous qu'avec le souvenir des Miséricordes éternelles qui vous en ont inspiré le repentir et l'horreur ; et plus l'abîme où vous étiez enseveli depuis tant d'années vous paraîtra affreux, et sans espérance de retour, si vous eussiez été abandonné à vous-même, plus vous serez touché de la Clémence d'un Dieu dont la Main Toute-Puissante a bien voulu vous en retirer. Vous lirez dans l'histoire de vos égarements, l'histoire de ses Miséricordes infinies sur votre âme ; et plus vous vous trouverez pécheur, plus le Seigneur vous paraîtra Bon, Miséricordieux et Aimable ».
Ps 4, 7 : Plusieurs disent : « Qui nous fera voir les biens que l'on nous promet ? »
« Mais, ô mon Dieu, les hommes enivrés de leurs passions n'écoutent qu'avec mépris ces avis utiles. Ils nous demandent avec insulte : Où est donc cette joie, ce contentement, ce bonheur que nous promettons ici-bas même à ceux qui veulent revenir à Vous ? Ils voudraient qu'on leur fit voir des yeux du corps des biens invisibles que l'œil de l'homme n'a point vus, et que la chair et le sang ne sauraient comprendre. Ils ne voient rien que de triste et de rebutant dans votre Service, parce qu'ils n'y voient rien qui flatte les sens ou l'orgueil ; la seule félicité qu'ils connaissent et qu'ils cherchent, cette félicité qui les fuit toujours, qu'ils désirent sans cesse, quoiqu'ils n'y puissent jamais atteindre, et dont le désir chimérique est la source de tous leurs chagrins les plus réels, et de leurs troubles les plus accablants. Ils sentent à tout moment, malgré eux, que le monde ne fait point d'heureux ; et ils ne veulent pas essayer si Vous n'êtes pas assez Puissant pour en faire. Ils aiment un maître qui les rend malheureux ; l'illusion de ses promesses, dont ils ont si souvent éprouvé la vanité et le mensonge, leur adoucit la pesanteur actuelle de son joug ; et ils craignent Celui avec Lequel on ne doit plus rien craindre, dans le service duquel on ne connaît plus ni peine, ni deuil, ni douleur, et dont le joug fait toute la consolation et la félicité de ceux qui Le servent ».
Ps 4, 8 : La Lumière de votre Visage est gravée sur nous, Seigneur ; Vous avez fait naître la joie dans mon cœur
« Oui, grand Dieu, Vous avez gravé au fond de nos cœurs cette Lumière éternelle ; cette Voix sécrète qui nous crie sans cesse que Vous êtes le seul Bonheur de l'homme, qui nous rappelle à Vous malgré nous-mêmes ; cette Voix qui se fait entendre au milieu du tumulte de nos passions, qui nous suit jusques dans l'abîme du désordre, et qui ne nous permet pas d'ignorer qu'étant faits à votre Image, nous ne sommes faits que pour Vous. Aussi tout ce qui souille et déshonore cette auguste Ressemblance, et nous sépare de Vous, fait en même temps tous nos malheurs et tous nos crimes. Et c'est, ô mon Dieu, cette Lumière née avec nous, et que votre Main seule a pu placer dans nos cœurs, qui devenant un ver secret et dévorant pour les pécheurs, est une Source continuelle de joie et de consolation pour ceux qui ont le bonheur de Vous servir. Ils sentent qu'en revenant à Vous, ils reviennent à la première institution de la nature humaine ; que leur vie devient conforme aux lumières les plus inséparables du fond de leur cœur ; et qu'ils sont dans la situation où la créature raisonnable doit être. En vain l'homme corrompu cherche à se persuader que nous sommes faits pour le plaisir, et que des penchants nés avec nous ne sauraient être des crimes. C'est le langage de ses passions, c'est le désir brutal de son cœur ; mais ce n'en est pas le sentiment le plus profond, et la persuasion la plus intime. Il trouve au dedans de lui une contradiction éternelle à ce dogme impie. Il s'en fait honneur ; mais il ne peut s'en faire une ressource. Sa langue le publie ; mais son cœur le désavoue ».
Ps 4, 9 : Ils se sont accrus et enrichis par l'abondance de leurs fruits, de leur froment, de leur vin et de leur huile
« Ainsi, ô mon Dieu, le bonheur dont les pécheurs semblent jouir, ne me dégoûtera jamais de l'observance de votre Loi sainte. Ce n'est qu'une vaine montre, qui cache les remords les plus cruels, et les inquiétudes les plus tristes. Multipliez entre leurs mains les biens de la terre ; comblez-les de ces faveurs périssables qui ne sont pas dignes de vos serviteurs. Ce sont des dons réservés aux enfants du siècle, et que vous faites presque toujours dans votre colère. Vous punissez le crime et l'ambition de leurs désirs en les exauçant. Le Royaume de vos Saints n'est pas de ce monde ; une Récompense plus durable les attend ».
Ps 4, 10-11 : Pour moi, je dormirai en paix, et je jouirai d'un parfait repos, parce que Vous m'avez, Seigneur, affermi d'une manière toute singulière dans l'espérance
« Pénétré de ces Vérités saintes ; quand toutes les disgrâces du monde fondraient de nouveau sur moi ; quand l'envie ou l'injustice des hommes me dépouilleraient de tout ce que je possède encore ici-bas, pourvu que Vous soyez encore avec moi, et que mon cœur Vous possède encore, ô Source unique de tous les biens, la paix de mon âme n'en sera point troublée. Conservez en moi cette ferme espérance que vos Miséricordes y ont fait naître ; et je serai tranquille au milieu de toutes ces révolutions passagères. Je verrai arriver la mort avec joie ; cette mort qui n'est qu'un doux sommeil pour les Justes ; et mes cendres attendront en paix dans la nuit du tombeau le Jour de la Lumière et de la Révélation, cette Vie nouvelle et immortelle que Vous promettez à ceux qui vous ont aimé sur la terre ».
Ainsi soit-il.
Mgr Jean-Baptiste Massillon (1663-1742) – « Œuvres de Massillon : paraphrase morale de plusieurs Psaumes en forme de prière », tome XII, Psaume 4, p. 19-29, chez Gauthier (1834).
Voir également de Mgr Jean-Baptiste Massillon :
- La Prière de Mgr Jean-Baptiste Massillon à la Providence « Ô mon Dieu, c'est avec Vous seul que je veux oublier tous mes maux, toutes mes peines et toutes les créatures »
- La Prière de Mgr Massillon pour le Mercredi des Cendres « Ô mon Dieu, je reviens à Vous parce que le monde ne peut me satisfaire »
- La Prière de Mgr Massillon pour le Carême sur la Prière « Ô mon Dieu, répandez donc sur nous cet Esprit de grâce et de prière »
- La Prière de Mgr J-B Massillon pour le Vendredi Saint « Ô mon Sauveur, plus Vous nous paraissez rassasié d'opprobres, plus notre foi s'augmente, plus notre espérance est ferme, plus notre amour s'enflamme »
- La Prière de Mgr Massillon sur le Pardon des offenses « Grand Dieu, Vous avez promis de remettre nos fautes dès que nous les remettons à nos frères »
- La Prière de Mgr Massillon après la Confession « Seigneur, je sais que Vous êtes le Meilleur de tous les Maîtres »
- La Prière de Mgr Massillon sur la Fidélité « Laissez-Vous toucher, Seigneur, au danger de mon état »
- La Prière de Mgr Jean-Baptiste Massillon lorsque Jésus pleure sur Jérusalem « Seigneur Jésus, ne suis-je pas aussi infidèle que Jérusalem ? »
- La Prière sur le Psaume 1 de Massillon « Le bonheur d'une âme qui après avoir été engagée dans les passions du monde s'en désabuse et revient à Dieu »
- La Prière sur le Psaume 3 de Jean-Baptiste Massillon « Le Sentiment d'une âme pénétrée de l'énormité de ses crimes passés, et en même temps pleine de confiance en la Miséricorde du Seigneur »
- La Prière sur le Psaume 4 de Mgr Massillon « Continuez, grand Dieu, de me regarder avec ces Yeux de Miséricorde »
- La Prière sur le Psaume 6 de Mgr Massillon « Grand Dieu, rendez-Vous Maître d'un cœur que je n'ose Vous présenter »
- La Prière sur le Psaume 8 de Mgr Massillon « Seigneur, notre souverain Maître, que la gloire de votre Nom parait admirable dans toute la terre »
- La Prière sur le Psaume 16 de Mgr Massillon « Laissez-Vous fléchir, Seigneur, par mon innocence, et écoutez ma prière »
- La Prière sur le Psaume 30 de Massillon « Seigneur, j'ai mis en Vous toute mon espérance »