Voici une Prière qui paraphrase le Psaume 6, celle d'un pécheur touché depuis peu de ses égarements, qui en gémit devant Dieu et qui implore sa Miséricorde pour en obtenir le pardon et sortir de cet état déplorable « Grand Dieu, rendez-Vous Maître d'un cœur que je n'ose Vous présenter » de Mgr Jean-Baptiste Massillon (1663-1742), Oratorien, Professeur, Évêque de Clermont-Ferrand et grand Prédicateur qui prêcha en 1700 l’Avent à Versailles devant le Roy Louis XIV.
La Prière de Mgr Massillon qui paraphrase le Psaume 6 « Grand Dieu, rendez-Vous Maître d'un cœur que je n'ose Vous présenter » :
Ps 6, 2 : Seigneur, corrige-moi sans colère, et reprends-moi sans fureur
« Grand Dieu, tous Vos foudres pourraient-ils suffire pour punir un malheureux tout couvert de crimes et de souillures ? Quand Vous armeriez contre moi toute la fureur de Votre bras, toute la sévérité de Vos châtiments ne laisserait-elle pas encore impunis des désordres dont le souvenir me confond et m'accable ? Ainsi, grand Dieu, ne consultez pas ce que Votre colère et Votre justice demandent de Vous à mon égard ; et puisque Vous ne sauriez me punir autant que je le mérite, laissez tomber de Vos mains le glaive prêt à frapper. Regardez-moi avec des yeux de pitié et de clémence. Ne fermez point vos entrailles paternelles à mes prières et à mes douleurs. Les rigueurs de Votre justice sur moi, seraient trop peu proportionnées à mes iniquités, pour être dignes de votre Gloire. Ce n'est qu'en me pardonnant, que toute Votre grandeur et Votre puissance peuvent éclater ; et Vos miséricordes sur moi manifesteront, bien plus que Vos châtiments, tout ce qu'il y a d'adorable et d'incompréhensible dans votre Majesté infinie ».
Ps 6, 3 : Pitié, Seigneur, je dépéris ! Seigneur, guéris-moi ! Car je tremble de tous mes os
« Je ne viens, grand Dieu, chercher le motif de vos Miséricordes à mon égard, que dans vos Miséricordes elles-mêmes. Je pourrais Vous alléguer le malheur d'avoir porté en naissant un cœur faible et sensible, auquel il n'a fallu que des exemples et des occasions pour succomber. Cette faiblesse et cette sensibilité elle-même ont toujours fait tout mon crime, comment pourraient-elles devenir mon excuse ? Vous ne m'aviez donné un cœur tendre et sensible que pour Vous, pour être plus aisément touché de vos Bienfaits, pour offrir moins de résistance aux douces inspirations de votre Grâce, pour goûter plus vivement le saint plaisir de Vous aimer ; et cependant, grand Dieu, j'ai tourné ces avantages que je tenais de Vous seul, contre Vous-même ; ces facilités de Salut que Vous aviez mises en moi, ont accéléré ma perte ; j'ai abusé de Vos dons, et prostitué aux créatures, tout ce qui devait me rappeler à Celui dont elles sont l'ouvrage ».
Ps 6, 4 : De toute mon âme, je tremble. Et Toi, Seigneur, que fais-Tu ?
« A ce souvenir, grand Dieu, je me sens pénétré de terreur ; le trouble, le découragement s'emparent de mon âme. Tout ce que je puis donc Vous alléguer en ma faveur, c'est que tout en moi réclame Vos vengeances. L'horreur de ma vie passée me jette dans des saisissements d'effroi, qui brisent mes os, et me laissent sans force et sans courage ; mon esprit s'abat et se confond ; à force d'être frappé de toute la profondeur de ma misère, je demeure immobile, et ne fais aucune démarche pour chercher le remède. Mais Vous, grand Dieu, qui voyez toute ma faiblesse, et tout le danger de mon état, jusqu'à quand me laisserez-Vous entre les mains de ma faiblesse et de mes craintes ? Sed tu, Domine, usquequo ? Jusqu’à quand me laisserez-Vous dans cet état ? »
Ps 6, 5 : Reviens, Seigneur, délivre-moi, sauve-moi en raison de ton Amour !
« Tournez-Vous vers moi, Dieu de bonté, que l'infection de mes plaies n'en détourne pas plus longtemps la sainteté de Vos regards. Voyez plutôt dans mon cœur ces désirs qui le pressent de retourner à Vous. C'est votre Miséricorde, grand Dieu, qui les crée dans mon âme ; c'est un rayon qui précède, et qui m'annonce la Présence de votre Lumière et de votre Majesté au dedans de moi : ne me la faites pas attendre plus longtemps, de peur que les ténèbres qui sortent encore du fond de mes passions, ne reprennent le dessus : délivrez mon âme de ces tristes agitations qui la font encore flotter entre la mort et la vie : fixez un cœur qui semble balancer encore, mais qui tient plus à ses frayeurs et à ses défiances qu'à ses égarements : achevez en moi l'ouvrage de mon Salut que Vous y avez déjà commencé : rendez-Vous Maître d'un cœur que je n'ose Vous présenter, tout couvert qu'il est encore de souillures, mais que Vous rendrez digne de Vous, dès que Vous l’aurez purifié. Ce sont là, ô mon divin Sauveur, les prodiges que Vous aimez d'opérer. Les grands maux sont réservés à Vos grandes Miséricordes. Il vous faut des Lazares ensevelis, pourris, exhalant l'infection et la puanteur, pour manifester, en leur redonnant la vie, toute l'immensité de Votre douceur, et toute la puissance de Votre grâce ».
Ps 6, 6 : Personne, dans la mort, n'invoque ton Nom ; au séjour des morts, qui Te rend grâce ?
« Au fond, grand Dieu, quoique votre Gloire n'attende rien de la vile créature, et que Vous la trouviez toute en Vous-même, Vous voulez cependant que l'homme Vous glorifie. Ce n'est pas que sa fidélité et sa soumission augmentent Votre bonheur, c'est parce qu'elles le rendent digne de participer au Vôtre. Or, mon Dieu, comment pourrai-je Vous rendre l'hommage et la gloire qui Vous est due, tandis que je croupirai dans cet état de mort et de péché où je me trouve encore ? L'enfer n'a que le blasphème et le désespoir en partage : et comment pourrai-je confesser Votre saint Nom, et chanter les louanges de votre Grâce, dans un état qui me lie à ces malheureux que Vous avez pour toujours précipités dans les flammes ? »
Ps 6, 7 : Je m'épuise à force de gémir ; chaque nuit, je pleure sur mon lit : ma couche est trempée de mes larmes.
« En attendant, grand Dieu, l'heureux moment de ma délivrance, et dans la confiance que Vous créerez en moi un cœur nouveau, je ne cesserai de gémir : j'arroserai la nuit mon lit de mes larmes ; je ne donnerai point de relâche à mes cris et à ma douleur. Vous aimez, ô Père des Miséricordes, qu'on Vous importune ; je ne craindrai donc point de lasser Votre patience. Mes larmes, mes prières, mon silence, mes frayeurs, ma confiance, seront autant de voix qui monteront sans cesse vers Vous ».
Ps 6, 8 : Mes yeux sont rongés de chagrin ; j'ai vieilli parmi tant d'adversaires !
« Dans les moments où toute l'horreur de mes crimes s'offrira à moi, et où la pensée de Votre fureur et de Votre justice me jettera dans le trouble et dans le découragement ; dans ces moments terribles où mon œil ne pourra soutenir la sévérité de Vos jugements ; dans ces moments où les ennemis de mon salut, témoins secrets et auteurs en même temps de mon abattement et de mes défiances, croiront que je vais me dégoûter d'un changement où ils ne me laissent point voir de ressource ; ce sera alors, grand Dieu, que j'espérerai contre l'espérance, et que plus Vous me paraîtrez un juge terrible, plus je confesserai que votre Justice demande ma mort et ma perte éternelle, et que je n'ai plus rien à attendre que de vos Miséricordes infinies et de votre Grâce ».
Ps 6, 9-10 : Loin de moi, vous tous, malfaisants, car le Seigneur entend mes sanglots ! Le Seigneur accueille ma demande, le Seigneur entend ma prière.
« Je sens déjà, grand Dieu, que ces dispositions me rendent d'avance la confiance et la paix : je trouve en moi plus de courage et plus de forces ; je commence à comprendre qu'on doit tout espérer, quand on veut sincèrement se repentir, et qu'on n'outrage pas moins votre Gloire, quand on présume de votre Bonté, en persévérant dans le crime, que lorsqu'on en désespère, ou même qu'on s'en défie, en répandant des larmes de pénitence. C'est Vous, grand Dieu, qui venez de verser dans mon âme ces douces images au milieu des troubles et des terreurs dont elle était agitée, et qui suspendaient l'éclat des premières démarches qu'exige mon changement. Vous Vous êtes laissé toucher de mes peines : les esprits qui sont devant votre Trône, et qui se réjouissent de la conversion d'un pécheur, Vous ont présenté mes prières, et Vous les avez exaucées : votre Sein paternel s'est ouvert à la persévérance de mes cris. C'en est fait, grand Dieu, je vais commencer dès ce moment à dire au monde un adieu éternel, à rompre tous les liens que mes passions y avaient formés, à me séparer de tous les objets, de toutes les sociétés qui me creusaient tous les jours de nouveaux précipices. Je renonce à vos liaisons insensées et honteuses, vous, dont la licence et la débauche forment le seul nœud qui vous lie : je ne veux avoir désormais pour amis, que les amis de Dieu : je ne veux plus tenir aux créatures par d’autres liens que par ceux de la charité, qui demeurent éternellement : je ne veux aimer que ce que je dois aimer toujours ».
Ps 6, 11 : Qu'ils aient honte et qu'ils tremblent, tous mes ennemis, qu'ils reculent, soudain, couverts de honte !
« Tout ce qui me reste à Vous demander, ô mon Dieu, c'est que les complices de mes passions, dont mon changement va faire autant de censeurs et d'ennemis de ma nouvelle vie, en deviennent enfin les imitateurs : c'est qu'ils soient touchés du Prodige que votre Miséricorde a opéré en moi : c'est que mon exemple les couvre de honte et de confusion, et les rappelle à eux-mêmes, ou plutôt à Vous, ô mon Dieu, à qui ils se doivent par tant de titres, et de qui l'homme ne peut s'éloigner sans se précipiter dans un abîme de misère : c'est que m'ayant toujours vu le plus déterminé d'entre eux, le plus vif, le plus dévoué au crime, ils ne désespèrent pas d'obtenir la Miséricorde que j'étais moins en droit d'espérer qu'eux, et qu'ils ne se figurent pas la vie de Vos serviteurs, comme une vie faible, insoutenable, puisque le pécheur le plus abîmé dans la volupté, le plus esclave de tous les attraits des sens, tel que j'ai été, y trouve dès maintenant tant de joie et tant de nouveaux charmes ».
Ainsi soit-il.
Mgr Jean-Baptiste Massillon (1663-1742) – « Œuvres de Massillon : paraphrase morale de plusieurs Psaumes en forme de prière », tome XII, Psaume 6, p. 30-38, chez Gauthier (1834).
Voir également de Mgr Jean-Baptiste Massillon :
- La Prière de Mgr Jean-Baptiste Massillon à la Providence « Ô mon Dieu, c'est avec Vous seul que je veux oublier tous mes maux, toutes mes peines et toutes les créatures »
- La Prière de Mgr Massillon pour le Mercredi des Cendres « Ô mon Dieu, je reviens à Vous parce que le monde ne peut me satisfaire »
- La Prière de Mgr Massillon pour le Carême sur la Prière « Ô mon Dieu, répandez donc sur nous cet Esprit de grâce et de prière »
- La Prière de Mgr J-B Massillon pour le Vendredi Saint « Ô mon Sauveur, plus Vous nous paraissez rassasié d'opprobres, plus notre foi s'augmente, plus notre espérance est ferme, plus notre amour s'enflamme »
- La Prière de Mgr Massillon sur le Pardon des offenses « Grand Dieu, Vous avez promis de remettre nos fautes dès que nous les remettons à nos frères »
- La Prière de Mgr Massillon après la Confession « Seigneur, je sais que Vous êtes le Meilleur de tous les Maîtres »
- La Prière de Mgr Massillon sur la Fidélité « Laissez-Vous toucher, Seigneur, au danger de mon état »
- La Prière de Mgr Jean-Baptiste Massillon lorsque Jésus pleure sur Jérusalem « Seigneur Jésus, ne suis-je pas aussi infidèle que Jérusalem ? »
- La Prière sur le Psaume 1 de Massillon « Le bonheur d'une âme qui après avoir été engagée dans les passions du monde s'en désabuse et revient à Dieu »
- La Prière sur le Psaume 3 de Jean-Baptiste Massillon « Le Sentiment d'une âme pénétrée de l'énormité de ses crimes passés, et en même temps pleine de confiance en la Miséricorde du Seigneur »
- La Prière sur le Psaume 4 de Mgr Massillon « Continuez, grand Dieu, de me regarder avec ces Yeux de Miséricorde »
- La Prière sur le Psaume 6 de Mgr Massillon « Grand Dieu, rendez-Vous Maître d'un cœur que je n'ose Vous présenter »
- La Prière sur le Psaume 8 de Mgr Massillon « Seigneur, notre souverain Maître, que la gloire de votre Nom parait admirable dans toute la terre »
- La Prière sur le Psaume 16 de Mgr Massillon « Laissez-Vous fléchir, Seigneur, par mon innocence, et écoutez ma prière »
- La Prière sur le Psaume 30 de Massillon « Seigneur, j'ai mis en Vous toute mon espérance »