Voici l’Hymne sur le Jeûne en latin et en français « Ô Christ, nous T'offrons nos chastes abstinences » d’Aurelius Prudentius Clemens de Sarragosse (348-405), Poète lyrique chrétien espagnol de la région de Saragosse, le Prince des poètes de la Liturgie latine, qui a consacré son talent poétique à Dieu par de nombreuses hymnes.
L’Hymne de Prudence sur le Jeûne « Ô Christ, nous T'offrons nos chastes abstinences » :
O Nazarene, lux Bethlem, Verbum Patris, quem partus alvi virginalis protulit, adesto castis, Christe, parcimoniis, festumque nostrum Rex serenus aspice, jejuniorum dum litamus victimam.
Ô Fils de Nazareth, Astre de Bethléhem, Verbe du Père, Toi qu'enfanta pour nous un sein virginal ; ô Christ ! Agrée nos chastes abstinences. Ô Roi ! Nous T'offrons la victime du jeûne : d'un œil serein regarde notre fête.
Nil hoc profecto purius mysterio, quo fibra cordis expiatur vividi : intemperata quo domantur viscera, arvina putrem ne resudans crapulam, obstrangulata ; mentis ingenium premat.
Rien de plus saint que ce rite mystérieux qui purifie la fibre vivante du cœur, qui dompte l'intempérance jusque dans son siège, de peur que la plénitude du corps n'étouffe l'ardeur de l'esprit.
Hinc subjugatur luxus et turpis gula ; vini, atque somni degener socordia, libido sordens, inverecundus lepos, variaeque pestes languidorum sensuum parcam subacta ; disciplinam sentiunt.
Le jeûne subjugue la liberté des sens et la gourmandise honteuse ; l'assoupissement que produisent le vin et le sommeil, la licence qui souille, la mollesse impudente, tous les vices de notre nature paresseuse y ressentent le joug d'une étroite discipline.
Nam si licenter diffluens potu, et cibo, jejuna rite membra non coerceas, sequitur, frequenti marcida oblectamine scintilla mentis ut tepescat nobilis, animusque pigris stertat in praecordiis.
Si l'homme se laisse aller sans frein au manger et au boire, s'il ne contient ses membres par le jeûne, la noble flamme de l'esprit s'attiédit bientôt ; elle s'amoindrit dans des jouissances qui la flétrissent ; l'âme s'endort dans la lâcheté du corps.
Fraenentur ergo corporum cupidines, detersa et intus emicet prudentia : sic excitato perspicax acumine. Liberque flatu laxiore spiritus rerum parentem rectius precabitur.
Réfrénons donc le désir de la chair ; que la prudence se ravive et brille au dedans de nous-mêmes ; la pointe de notre esprit s'aiguisera, l'âme aspirera d'un souffle plus libre, et sa prière s'adressera plus dignement à Celui qui l'a créée.
Helia tali crevit observantia, vetus sacerdos ruris hospes aridi : fragore ab omni quem remotum, et segregem sprevisse tradunt criminum frequentiam, casto fruentem syrtium silentio.
L'observance du jeûne ajouta encore à la grandeur d'Elie, ce vieux prêtre, hôte d'un désert aride. Ce prophète, fuyant le bruit des cités et la vue de tant de crimes, goûtait le tranquille silence de la solitude.
Sed mox in auras igneis jugalibus, curruque raptus evolavit praepeti, ne de propinquo sordium contagio dirus quietum mundus afflaret virum, olim probatis inclytum jejuniis.
Mais bientôt il s'envola dans les airs, entraîné par des chevaux de feu sur un char rapide, de peur que le monde, trop voisin encore, n'exhalât la contagion de ses vices sur cet homme paisible qu'illustrait la rigueur des jeûnes qu'il avait accomplis.
Non ante coeli Principem septemplicis moses tremendi fidus interpres throni potuit videre, quam decem recursibus quater volutis sol peragrans sidera, omni carentem cerneret substantia.
Moïse, fidèle interprète du trône redoutable, ne put contempler le Roi du ciel aux sept régions, avant que le soleil, dans sa course à travers le firmament, ne l'eût revu quarante fois privé de toute nourriture.
Victus precanti solus in lacrymis fuit : nam flendo pernox irrigatum pulverem humi madentis ore pressit cernuo : donec loquentis voce praestrictus Dei expavit ignem non ferendum visibus.
Il priait, et son seul aliment étaient ses larmes. Il veillait, et son front pressait la terre arrosée de ses pleurs, jusqu'à ce que, averti par la voix de Dieu, son regard tremblant se dirigea vers ce feu dont il ne pouvait supporter l'éclat.
Johannes hujus artis haud minus potens, Dei perennis praecucurrit Filium, curvos viarum qui retorsit tramites, et flexuosa corrigens dispendia, dedit sequendam calle recto lineam.
Jean, qui fut le précurseur du Fils du Dieu éternel, ne fut pas moins puissant dans le jeûne, lui qui abaissa les sentiers raboteux et redressa les voies tortueuses, enseignant aux hommes la voie droite qu'ils avaient à suivre.
Hanc obsequelam praeparabat nuntius, mox affuturo construens iter Deo, clivosa planis, confragosa ut lenibus converterentur, neve quidquam devium Illapsa terris inveniret Veritas.
Il préparait à son tour les mortels à l'observance du jeûne, ce messager chargé d'ouvrir un chemin au Dieu qui allait venir, enseignant que les montagnes devaient s'aplanir, les voies rocailleuses s'adoucir, afin que la Vérité, descendant sur la terre, ne rencontrât plus aucun sentier négligé.
Non usitatis ortus hic natalibus, oblita lactis jam vieto in pectore matris tetendit serus infans ubera : nec ante partu de senili effusus est, quam praedicaret Virgi nem plenam Deo.
Sa naissance eut lieu contre les lois ordinaires de la nature : enfant tardivement mis au jour, il suça les mamelles d'une mère au sein de laquelle le lait était tari ; mais sa vieille mère ne l'avait pas encore mis au jour que déjà l'enfant avait annoncé la Vierge qui portait Dieu.
Post in patentes ille solitudines, amictus hirtis bestiarum pellibus, setisve tectus, hispida et lanugine, secessit, horrens inquinari ac pollui contaminatis oppidorum moribus.
Bientôt il se retira dans un vaste désert ; il se couvrit de peaux de bête au poil dur et hérissé, à la laine grossière, fuyant avec horreur la souillure que produisent les mœurs impures des cités.
Illic dicata parcus abstinentia, potum, cibumque vir severae industriae in usque serum respuebat vesperum, parvum locustis, et favorum agrestium liquore pastum corpori suetus dare.
Là, se livrant à la règle de l'abstinence, cet homme aux mœurs sévères renvoyait au soir la nourriture et le breuvage, ne donnant à son corps pour aliment que des sauterelles et quelques gouttes de miel sauvage.
Hortator ille primus et doctor novae fuit salutis : nam sacrato in flumine veterum piatas lavit errorum notas : sed tincta postquam membra defaecaverat, cœlo refulgens influebat Spiritus.
Le premier, il prêcha; le premier, il enseigna le salut nouveau ; ce fut lui qui clans le fleuve sacre purifia les taches qui longtemps avaient souillé les consciences ; mais s'il lavait ainsi les membres des pécheurs, l'Esprit devait bientôt du haut du Ciel répandre ses influences dans leurs cœurs.
Sed cur vetustæ gentis exemplum loquor ? Pridem caducis quum gravatus artubus Jesus, dicato corde jejunaverit : Praenuncupatus ore qui prophetico Emmanuel est, sive nobiscum Deus.
Pourquoi citerai-je en faveur du jeûne l'exemple d'un peuple ancien, quand nous savons que Jésus, vivant encore sous le poids de Ses membres mortels, jeûna autrefois, malgré la Sainteté de Son cœur, Lui annoncé par la bouche du Prophète comme l’Emmanuel, le Dieu avec nous ?
Qui corpus istud molle naturaliter, captumque laxo sub voluptatum jugo, virtutis arcta Loge fecit liberum, emancipator servientis plasmatis, regnantis ante victor et cupidinis.
Lui qui, par la Loi sévère de la vertu, a rendu libre notre corps, dont la nature est la mollesse, et que le joug facile des voluptés tenait captif ; Lui qui a émancipe Sa créature jusqu'alors asservie ; Lui vainqueur des appétits qui régnaient alors ?
Inhospitali namque secretus loco, quinis diebus octies labentibus, nullam ciborum vindicavit gratiam, firmans salubri scilicet jejunio vas appetendis imbecillum gaudiis.
Retiré à l'écart dans un lieu inhospitalier, Il se refuse pendant quarante jours le bienfait de la nourriture, fortifiant par un jeûne salutaire ce corps dont la faiblesse aspire aux jouissances.
Miratur hostis, posse limum tabidum tantum laboris sustinere ac perpeti, explorat arte sciscitator callida, deusne membris sit receptus terreis : sed, increpata fraude, post tergum ruit.
L’ennemi s'étonne qu'un limon périssable puisse supporter et souffrir tant de fatigues. Par d'habiles artifices, il explore si ce n'est point un Dieu caché sous des membres terrestres ; mais il s'entend reprocher sa fraude, et n'a plus qu'à s'enfuir.
Hoc nos sequamur quisque nunc pro viribus, quod consecrati tu magister dogmatis tuis dedisti, Christe, sectatoribus ; ut quum vorandi vicerit libidinem, late triumphet imperator spiritus.
Puissions-nous, ô Christ ! Ô Maître de la doctrine sacrée ! Imiter selon nos forces l’Exemple que Tu donnas à Tes disciples, afin que, victorieuse des appétits brutaux, notre âme, devenue maîtresse, triomphe dans tout son empire.
Hoc est, quod atri livor hostis invidet, mundi, polique quod gubernator probat, altaris aram quod facit placabilem, quod dormientis excitat cordis fidem, quod limat aegram pectorum rubiginem.
C'est là ce que nous envie la noire jalousie de notre adversaire ; c'est là ce qui plaît au Maître souverain de la terre et des Cieux, ce qui rend propice l'autel mystérieux, ce qui réveille la foi d'un cœur qui s'endormait, ce qui enlève la rouille d’une âme languissante.
Perfusa non sic amne flamma exstinguitur, nec sic calente sole, tabescunt nives, ut turbidarum scabra culparum seges vanescit almo trita sub jejunio, si blanda semper misceatur largitas.
Comme la flamme s'éteint sous les eaux qu'elle rencontre, comme la neige se fond sous un ardent soleil ; ainsi la triste moisson de nos péchés s'anéantit broyée par le jeûne sacré, quand l'aumône vient y joindre sa bienveillance.
Est quippe et illud grande virtutis genus operire nudos, indigentes pascere, opem benignam ferre supplicantibus, unam, paremque sortis humanæ vicem inter potentes, atque egenos ducere.
Car c'est aussi une grande œuvre de vertu de couvrir celui qui est nu, de repaître l'indigent, de porter aux suppliants un bienfaisant secours, de reconnaître une seule et même destinée humaine entre le pauvre et le puissant.
Satis beatus quisque dextram porrigit laudis rapacem, prodigam pecuniæ, cujus sinistra dulce factum nesciat. Illum perennes protinus complent opes. Ditatque fructus fœnerantem centuplex.
Assez heureux est celui qui, ravissant la vraie gloire, étend sa main droite pour prodiguer l'argent, tandis que sa main gauche ignore ce bienfait. Un trésor éternel est là pour le dédommager; il prête, et ce qu'il avance lui rendra au centuple.
Ainsi soit-il.
Prudentius de Sarragosse (348-405)
Voir également d’Aurelius Prudentius Clemens :
- La Prière du Lucernaire d’Aurelius Prudentius Clemens « Tu es la vraie Lumière pour nos âmes »
- L’Hymne du matin de Prudence de Sarragosse « L’Oiseau qui annonce le jour chante l'approche de la lumière »
- La Prière de Prudentius de Sarragosse aux Saints Martyrs Innocents « Je vous salue, Fleurs des martyrs, qu’à l'aurore de votre vie l'ennemi du Christ arracha »
- L’Hymne aux Saints Innocents de Prudence de Sarragosse « Salvete, flores Martyrum »
- L’Hymne de Prudence pour l’Epiphanie « Reconnais les illustres symboles de Ta puissance et de Ta royauté, Enfant, à qui le Père a conféré par avance une triple destinée »
- L’Hymne de Prudence sur le Jeûne « Ô Christ, nous T'offrons nos chastes abstinences »
- Le Cantique de Prudence de Sarragosse « Célébrez votre Prince, ô vous tous, désormais nul ne mourra plus »
- L’Hymne pour l'Épiphanie d’Aurelius Prudentius Clemens de Sarragosse « Ô vous qui cherchez le Christ, levez les yeux en haut »
- L’Hymne de la Naissance du Christ du Poète Prudence « Paraissez, doux Enfant, né d'une Mère qui enfante sans alliance humaine »
- L’Hymne sur la Maternité divine du Poète Prudence « La Vierge qui a été digne d'enfanter un Dieu triomphe de tous les poisons »
- L’Hymne sur la Nativité du Verbe du Poète Prudentius « Ô heureuse Naissance du Verbe incarné ! »
- Le Poème de Prudence en latin et en français sur la « Passion des Apôtres Pierre et Paul »