Voici le témoignage « Les yeux fixés sur Jésus dans l'épreuve du divorce » d'Anne-Marie Le Marquer, co-fondatrice de la Communion Notre-Dame de l'Alliance avec Paul Salaün et le Père Guillaume de l'Abbaye de Timadeuc en 1983.
À Noël 1983, Anne-Marie Le Marquer et Paul Salaün, tous deux divorcés, fondaient la Communion Notre-Dame de l'Alliance. Le Père Guillaume, de l’Abbaye de Timadeuc en Bretagne, les avait guidés dans cette intuition. Sur les traces de leurs fondateurs, des hommes et des femmes, séparés ou divorcés, s’appuyant sur leur Sacrement de Mariage et sur la fidélité indéfectible de Dieu font le choix de demeurer fidèles à leur conjoint dans une démarche de pardon. Ils ont la certitude que ce chemin est une source de Grâces pour eux-mêmes et pour leur famille.
Avec ses 230 membres environ, répartis en France et en Belgique, avec des contacts en Italie, la Communion Notre-Dame de l'Alliance est un mouvement d’Église participant à l’Apostolat des Laïcs et reconnu par la Conférence des évêques de France.
« La Communion Notre-Dame de l’Alliance réunit des hommes et des femmes engagés dans un mariage sacramentel et vivant seuls à la suite d’une séparation ou d’un divorce. Dans la foi au Christ et l’amitié fraternelle, ils suivent un chemin de fidélité, de pardon et d’espérance ».
Le témoignage d'Anne-Marie Le Marquer « Les yeux fixés sur Jésus dans l'épreuve du divorce » :
« Que ces quelques lignes soient une louange à la Patience miséricordieuse de notre Dieu : « Moi, tous ceux que j’aime, je leur montre leurs fautes, et je les corrige. Eh bien, sois fervent et convertis-toi. Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Livre de l'Apocalypse 3, 19-20).
Pour moi l'épreuve du divorce a été un temps de conversion et d'accueil de Dieu. Quand je relis mon histoire à l'envers, je peux dire que je croyais répondre « oui » à Jésus qui frappait mais inconsciemment j'étais enfermée en moi-même. Il fallait une brèche dans ce cœur endurci et surprotégé contre les coups. Je reçois aujourd'hui comme un don de Dieu la seule souffrance qui fut assez violente pour me broyer jusqu'au fond et enfin... enfin m'ouvrir à la Tendresse du Père qui veut inlassablement nous guérir, nous sauver !
Je remercie mes parents de m'avoir transmis la Foi, même si cette Foi marquée par le Jansénisme et le légalisme de l'époque me paraissait plus un carcan moralisateur qu'un chemin de libération. C’est plus tard que je réalisai combien la Loi de Dieu nous délivre et combien la Parole nous recrée. « Ta Parole Seigneur est vérité et ta Loi délivrance ». Pudeur ? Tradition ? Chez nous on ne cajolait pas les enfants, c'est sans doute à cause de cela que je suis devenue une jeune fille blessée, incapable de donner l'amour.
Quand François m'a dit qu'il m'aimait, j'ai saisi cet amour pour qu'il comble mon besoin affectif, au lieu de l'accueillir gratuitement. Mon mari, aussi blessé que moi, n'a pas pu m'ouvrir à l'amour véritable. Et pourtant ! J'avais vingt-deux ans, François vingt-neuf, quand nous avons décidé de nous marier et nous étions follement amoureux, croyant pouvoir nous rendre heureux l'un l'autre toute notre vie.
Le premier échec sensible de notre couple a été la stérilité. Comme nous étions de famille nombreuse tous les deux, je n'avais jamais imaginé un foyer sans enfants. En apprenant ce verdict j'ai souhaité l'adoption, mais mon mari n'y tenait pas, si bien que je n'ai jamais connu la joie de la maternité humaine. Pour combler ce qui me paraissait un grand vide dans ma vie, j'ai préparé et obtenu mon diplôme d'infirmière : c'était un vieux rêve chez moi. J'ai fait toute ma carrière au centre hospitalier, et j'ai beaucoup aimé mon métier.
De tempérament passionné, et blessée comme je l'étais, j'ai commencé ma vie de jeune épouse sur le mode fusionnel : je voulais tout faire avec mon mari, je voulais sans cesse qu'il m'approuve... « Tu m'as fait étouffer », m'a dit François. Sans doute ! Durant les toutes premières années de mon Mariage
J’allais à la Messe le Dimanche et je priais un peu. J'ai demandé la grâce d'une maternité et puis ... François ne pratiquait pas, pas plus que le reste de ma belle-famille où nous allions souvent en week-end ; certains Dimanches, j'étais de garde dès que j'ai commencé à exercer mon métier d'infirmière : des petites raisons qui s'accumulaient de façon insidieuse. Ce qui me peine le plus aujourd'hui, c'est de voir avec quelle facilité inconsciente, j'ai pris mes distances par rapport au Seigneur. Je pense que cela m'a rendue bien fragile devant la découverte des sciences humaines et le déferlement du féminisme. Dans ma tête j'ai cru trouver la réponse à mes problèmes affectifs non résolus, et je me suis cuirassée pour les résoudre seule.
Matériellement, j'avais tout pour être heureuse mais j'étais enfermée dans le cercle infernal de l'angoisse et de la culpabilité. Je ne trouvais pas d'issue.
''Et François durant ce temps ? Il a choisi la fuite. Son métier l'obligeait à des déplacements ; l'hôpital m’absorbait, nous avons ainsi duré dans des vies totalement parallèles. J'en éprouvais un malaise et de temps en temps, j'allais faire le point avec le Père Guillaume, Trappiste à l'Abbaye de Timadeuc.
En 1975, j'ai découvert que mon mari avait une liaison. J'étais effondrée. Malgré la pauvreté de notre relation conjugale, je voulais la faire durer et j'avais l'impression que tout s'écroulait autour de moi. A cette époque, le Père Guillaume s'était retiré dans un ermitage et c'est ainsi qu'a commencé notre correspondance. ''
Durant ce dernier Carême, j'ai été très interpellée par la parole de l'antienne : « Les yeux fixés sur Jésus, entrons dans le combat de Dieu ». Au début de mon épreuve, j'étais littéralement submergée par la souffrance et je vivais les yeux fixés sur le Père Guillaume. Puissent nos Pasteurs avoir la foi qui l'animait ! Il a été pour moi l'incarnation du Père m'invitant à garder les yeux fixés sur Jésus en Croix.
Dans les premières lettres, il reprenait le bilan de ces dernières années et disait : « C'est l'aboutissement de quelque chose que je prévoyais depuis longtemps ». Il m'a proposé d'entrer dans une profonde démarche de conversion, car seul Jésus sauve. « L'Amour ne craint pas », dit saint Jean. Il n'a pas eu peur de me « corriger » ; il m'avait écrit : « Je ne savais comment vous faire saisir ce que je voyais ; hélas il a fallu qu'il y ait cette situation anormale pour que je vous attaque, le mot n'est pas trop fort, car je devrais plutôt écrire : pour que je vous massacre ! Quand le bateau coule, ce n'est pas le moment de mettre des gants ! »
Il osait cela parce qu'en même temps il me disait : « j'allais au tabernacle, et je disais au Seigneur : « Je vais la démolir, reconstruis-la ». Quelle foi, enracinée dans une incessante prière ! Il savait que (He 12, 11) : « Certes, toute correction ne paraît pas sur le moment être un sujet de joie, mais de tristesse. Plus tard cependant, elle rapporte à ceux qu'elle a exercés un fruit de paix et de justice ».
C'était le début d'une année liturgique et comme les oreilles de mon cœur s'ouvraient pour la première fois vraiment à la Parole, la grande espérance de l'Avent me consolait au sens fort du terme. J'ai même parfois donné des interprétations précises immédiates à la Parole reçue à travers ma psychologie blessée. Mais le Père Guillaume veillait, expliquait, redressait et... priait intensément pour nous et avec nous. Il m'avait écrit une fois : « Envoyez-moi une photo de François et de vous afin que je vous prenne dans ma prière, vous êtes l'intention du moment ». Il m'a appris la Communion des Saints.
Il ne m'est pas nécessaire de m'étendre sur ces années de souffrances, de larmes. Ceux et celles qui sont confrontés à la même épreuve les connaissent. Humiliés, bafoués, rejetés, nous n'avons qu'une issue, c'est d'accepter cette Crucifixion avec Jésus afin de participer par Grâce au Mystère de la Rédemption.
Je préfèrerais passer rapidement sur ces années si douloureuses, sur les moments où l'angoisse est telle que l'on croit ne pas pouvoir tenir, mais je donnerais l'impression que tout s'est transformé comme par magie.
La merveille a été la Présence du Seigneur incarnée par le Père Guillaume et la Tendresse de Marie à laquelle je me suis raccrochée avec mon chapelet. Il me faudrait des pages pour montrer la proximité de Dieu à tous les instants.
Très vite François est parti vivre avec sa maîtresse dans une grande euphorie. Il avait enfin trouvé l'amour et était heureux, disait-il. Je n'existais plus. Cela a duré à peine un an. La grande flambée passée, il est revenu à la maison. Là j'ai commis une erreur, celle d'accepter de reprendre la vie commune sans que nous ayons fait le point. J'étais si heureuse de ce retour que je n'ai pas vu la réalité. François n'avait pas changé en profondeur, et il est reparti. Alors j'ai connu un moment proche du désespoir. J'avais tout fait pour l'accueillir, j'avais remercié tous les Saints du ciel pour ce retour. J’ai cru que Dieu Lui-même m'abandonnait. Je ne pouvais plus prier.
Quelque part au fond de moi, je pensais que Marie au pied de la Croix avait connu un moment de nuit totale. A l’Annonciation, l'ange lui avait dit que Celui qu'elle enfanterait serait le Sauveur du monde, et Il était là mort, crucifié comme le pire des malfaiteurs. Quel échec ! Malgré tout, Elle a tenu, Elle a duré. Je me suis unie à Elle à ce moment-là ; je répétais inlassablement le chapelet en méditant ce Mystère : Marie debout allant jusqu'au bout de la confiance, au-delà des apparences humaines. J'avais le cœur broyé, je donnais nos cœurs à Marie pour qu'Elle pose toutes nos blessures contre le Cœur blessé de Jésus. J'avais laissé fondre mes défenses, Il pouvait enfin me renouveler en profondeur.
Un 17 janvier, le Père Guillaume m'écrivait : « Quel chemin parcouru ! Et comme vous êtes heureuse, n'est-ce pas, de vivre la Vérité ! Car la joie existe au milieu du drame, comme la Résurrection est déjà présente à la Crucifixion de Jésus ». C'était vrai ; pourtant ce 17 janvier se situe au début de mon épreuve dans le temps humain. Chez nous, nous fêtons les Apparitions de Notre-Dame de Pontmain où le message de Marie nous dit : « Mais priez, mes enfants, mon Fils se laisse toucher, Dieu vous exaucera en peu de temps ». Je prenais cette parole pour moi, mais je n'avais pas compris que le temps n'existe pas pour Dieu. Pour Lui, mille ans sont comme un jour, dit saint Pierre (2 P 3, 8). Il n'a pas la même horloge que nous et cela nous déconcerte souvent. Demandons la Grâce de la Patience de Dieu qui a toute l'éternité devant Lui. Le Père Guillaume m'invitait à cette patience en m'écrivant : « L'issue ne peut être que longue ; mais ne perdez pas courage, car le réalisme nécessaire ne coupe pas l'espérance. Il me semble au contraire qu'il doit nourrir votre force et vous ancrer encore plus dans l'espérance, que malgré la lenteur nécessaire - une conversion est normalement lente - le résultat sera obtenu, et alors il sera beau car « le fruit de vos deux conversions », avec bien sûr « la Grâce de Dieu ». Donc ne soyez pas « écartelée ». Que la longueur ne vous impressionne pas, que la durée ne vous accable pas ». Et de la patience, il en a fallu ; cela a duré jusqu'à la consommation du divorce en 1981 et cela dure encore.
Ma grande difficulté, c'est le pardon, le vrai, pas l'oubli ou le coup d'éponge : Celui de Jésus au sommet de son sacrifice : « Père pardonne-leur ! » C'est une Grâce à demander et je m'y suis mise. Sainte Thérèse a été pour moi une bonne éducatrice quand, dans son acte d'offrande, elle dit : « Je désire être Sainte, mais je sens mon impuissance et je Vous demande, ô mon Dieu, d'être Vous-même ma Sainteté ». J'ai transposé : « je désire pardonner, mais je sens mon impuissance, et je Te demande, ô Jésus, de venir pardonner en moi ».
Pour que cette prière soit vraie, il fallait aussi que soit vrai le désir de pardon en moi, et je vois clairement combien la pédagogie du Père Guillaume a été éclairée par l'Esprit-Saint. Je la mesure à ses fruits. En m'invitant d'abord à ma propre conversion, le Seigneur me mettait en vérité devant mes erreurs, mes blessures et surtout mes défenses. Me reconnaissant pécheur et plus, pécheur pardonné, ma reconnaissance à Jésus me poussait à la même attitude vis-à-vis de mon mari.
Il me reste à prier chaque jour : « Donne-moi, Seigneur, Ton sur-amour de pardon pour François ». Je persévère dans cette prière, sûre que j'aurai à être purifiée jusqu'à la fin de ma vie.
Par contre, j'ai eu un combat plus violent pour pardonner à sa maîtresse. Vexée d'avoir été laissée par François après quelques mois de vie commune, c'est contre moi qu'elle a orienté ses flèches et j'ai dû subir de sa part toute une série de persécutions qui visaient à me déstabiliser. J'ai bien cru que j'allais craquer et je me souviens particulièrement d'un jour où j'ai senti que j'étais au bord de la haine. Dans mon métier, j’ai appris que parfois il y a urgence et c'est le bon geste, rapide et immédiat, qui sauve. J’étais dans cette situation. Je suis partie dans une église. Devant le Tabernacle, j'ai livré une rude bataille. J'ai supplié le Seigneur de me donner la Grâce du pardon, et j'ai été immédiatement exaucée : je n'ai jamais eu de haine depuis pour la maitresse de mon mari.
Comme je rends grâce au Seigneur de m'avoir préservée de ce poison destructeur ! Aujourd'hui notre couple humain est mort, mais je n'ai jamais vécu avec autant de vérité l'unité avec mon mari. Je la vis dans la nuit de la foi, mais « la lumière brille dans les ténèbres » (Jn 1, 5). Je me laisse dépouiller des richesses auxquelles je tenais le plus : ma volonté propre, mes projets, l'image que je souhaite que l'on ait de moi. J’accepte de laisser mourir le vieil homme. Me désencombrer de moi-même, quel travail !
Une Parole de Jésus à Sainte Catherine de Sienne nourrit souvent ma méditation : « La Providence pourvoit à tout. Dans les grandes souffrances je donne à l'âme une grande force, et je n'impose jamais un fardeau plus lourd qu'elle ne peut porter. C'est pour l'avancement de mes serviteurs que je dispose ce qui leur arrive. Car je veux votre sanctification et tout ce qui vous arrive est ordonné par moi à cette fin » (Dialogues, sainte Catherine).
C'est le développement de saint Paul : « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui L'aiment » (Rm 8, 28). Je « rumine » encore ces Paroles qui prennent vie en moi et me reconstruisent dans la vérité de la foi. Oui, la Parole de Dieu est vie, et Dieu rétablit son Projet encore plus beau après que l'homme l'a détruit. Le Projet de Dieu sur nous est ce qui est le plus beau, le plus grand, l'éternel en nous.
Si donc Dieu a dit : « Ils ne feront qu'une seule chair », notre chemin de sainteté est de faire vivre et grandir cette réalité de foi en nous. Faire de notre histoire une histoire sainte, de notre échec une vocation. Nous sommes appelés à un acte de Foi dans la vérité qui est chemin de liberté. Dieu ne veut pas l'échec de nos couples, mais devant cette réalité humaine, Il nous fait une proposition en trois temps : reconnaître l'échec, l'accepter et en faire une offrande. (Ce sont les temps de Thérèse de Lisieux et de Marthe Robin.) Si nous n'acceptons pas sa proposition, notre cœur risque de s'endurcir, nous gâchons notre vie. Quel dommage !
Tant souffrir et pour rien conduit à la désespérance. Tant souffrir et unir cette souffrance à la Passion du Christ, c'est vivre du mystère de la Rédemption (cf. Col 1, 24).
Le 19 mars 1976, en la fête de Saint-Joseph, le Père Guillaume m'écrivait : « Je suis convaincu que le Seigneur vous appelle, comme un certain nombre d'autres époux souffrants que je m'efforce d'aider le mieux possible, à une mission au-delà de votre foyer. C'est, bien sûr, tout d'abord et essentiellement le salut de François et une unité retrouvée que Jésus réalise à travers votre extrême purification. Il vous demande d'aller loin à Sa suite, jusqu'à cette délicatesse toujours renouvelée et qui journellement se donne et attend sans faire aucune pression. Cela serait impossible sans Lui qui vous précède sur cette voie si difficile. Mais comme Lui-même ne voit pas que votre foyer, mais tous les foyers, de même, en vous appelant à sauver François de la fausseté actuelle, c'est beaucoup d'autres foyers profondément atteints dans leur unité et leur bonheur qu'il vous permet d'aider, toujours avec Lui. Cette dimension rédemptrice doit vous permettre d'être beaucoup plus forte parce que solidaire d'autres intenses souffrances, que d'autres époux comme vous portent pour le salut de leur foyer et de beaucoup d'autres. Maintenant que votre cœur est vrai, et que votre prière l'est devenue aussi par le fait même, je peux sans hésiter vous ouvrir cette grande perspective du Salut des autres. Jésus nous amène toujours là à travers nos souffrances particulières. Parce qu'en fait il n'y a pas de souffrances juxtaposées mais un immense sacrifice, celui de Jésus qui se poursuit à travers nos souffrances et les fond dans l'offrande du Sien pour qu'elles soient ainsi, par Lui, salut du monde ».
Anne-Marie Le Marquer - « Les yeux fixés sur Jésus dans l'épreuve du divorce » - Témoignage du livre « Séparés, Divorcés, une possible espérance » de Paul Salaün, co-fondateur de la Communion Notre-Dame de l'Alliance diffusé sur Radio Maria France le 15 mars 2017.
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