Voici le Chant de marche de Noël « Allons, il est l'heure de partir, y sommes-nous tous, les enfants ? » de Paul Claudel (1868-1955), le « Poète de la Prière » élu à l'Académie Française en 1946, qui véhicule sa Foi Catholique fervente après sa conversion à 18 ans le Jour de Noël 1886.
Le Chant de marche de Noël de Paul Claudel « Allons, il est l'heure de partir, y sommes-nous tous, les enfants ? » :
« Allons, il est l'heure de partir, y sommes-nous tous, les enfants ?
Avez-vous bien tout ce qu'il faut, car il fait choc ! Dehors, les galoches et les manteaux, les voiles, les cache-nez et les gants ?
Alors soufflez la lampe et venez, car moi, je marche par devant.
J'ai fait le chemin, c'est moi qui vous conduirai, qu'aucun autre ne fasse l'important.
On a éteint, voici notre petit groupe tout noir à la clarté du feu qui meurt,
Ceux qui me sont unis par le sang, ceux-là qui me sont unis par le cœur,
Et le vieux avec sa vieille, les servantes et les jeunes gens, et la mère avec ses enfants,
Et le juste qui a porté le poids du jour avec l'ouvrier de l'onzième heure.
Il fait trop sombre pour se compter, on dirait que nous sommes plus nombreux que tout à l'heure.
S'il y a des morts qui se soient joints à nous, soyez les bienvenus, chers parents !
N'ayez pas peur de nous, nous nous sommes tous confessés ce soir, prenez place entre les innocents.
Tous à l'exception de ceux-ci qui croient et qui doutent encore à moitié,
Et qui, s'étonnant un peu, cependant m'accompagnent par amitié.
Qui, prenant mon grand bâton, passe devant comme un ménétrier,
Chantant notre chant de marche de Noël à plein gosier va-comme-je-te-pousse,
Un seul vers si je n'en trouve qu'un dans mon sac, et d'autres qui viennent tous ensemble par secousse.
Quand il n'y a pas de rime, il faut, ma foi, s'en passer.
Si mon vers ne va pas tout droit, ce n'est pas qu'il y manque des pieds,
Précédant de peu ma pensée, comme l'aveugle qui tâte avec son bâton.
Mais le chemin aussi n'est pas commode, cette neige n'est pas du coton.
Allons tout de même en avant, de par Dieu ! à cœur joyeux tout est bon.
Si ma chanson ne vous va pas, je la chanterai cependant tout du long.
Le quadruple Alléluia avec neume, et non pas croac ! et Requiem !
Car c'est la grand'nuit que par toutes les routes les chrétiens sont en marche vers Bethléem,
Et nous, combien que peu nombreux nous faisons notre peloton.
La porte pas plus tôt ouverte, voici tout le ciel qui nous saute aux yeux !
Un million d'étoiles piquantes avec la Voie Lactée au milieu.
Ministre de la solennité, le ciel énarre la science aux cieux.
Le firmament dans son immense ornement raconte la gloire de Dieu.
Un seul éclair ! c'est toute l'armée des cieux qui dégaine, rangée sur nous avec ses capitaines, spécialement cinq ou six,
L'immense peuple entremêlé d'une seule voix chantant Gloria in excelsis !
Spécialement cinq ou six étoiles, et voyez celle-ci la plus belle !
Ô Globe spirituel suspendu sur la sainte Étable !
Vase de la lumière consacrée que nous apporte un ange indubitable.
Pour toi, ville de David et de Booz, ô Bethléem Ephrata,
Certes tu n'es pas la plus mince entre toutes les cités de Juda,
Puisqu'à ton flanc cette nuit doit naître le Sauveur des hommes !
Chacun est venu du plus loin t'apporter ce nom dont il se nomme.
Que de lumières dans tes rues ! que de tapage et que d'affaires !
César Auguste aujourd'hui recense toute la terre.
L'Enfant Prodigue, qui traite le Mauvais Larron et les employés du Comput,
Se divertit chez le rôtisseur avec les joueuses de flûte.
Il y a un feu pour chacun, excepté pour le Roi du Ciel.
Pauvre Jésus, quand tu te présentes, il n'y a jamais de place à l'hôtel !
Joseph, avec l'humble Marie sur le petit âne, s'en va de porte en porte.
L'aubergiste, quand il voit cette femme enceinte, appelle au secours et main-forte !
Et refoule avec sa serviette sur le perron et sous la branche de sapin
Saint Joseph qui n'a point son auréole sur la tête, mais une vieille casquette en peau de lapin.
C'est pourquoi, nous, n'ayant point de l'argent pour faire ici la débauche,
Nous laisserons la ville à droite et prendrons ce chemin sur la gauche,
Qui conduit vers le désert et les communaux comme l'indique
Le pas fréquent de ces animaux agréés par le Lévitique.
Tournons à ce coin maintenant et là-bas où sont la herse et l'araire,
Sous le grand chêne d'Abraham, voyez-vous ce trou dans la terre ?
C'est là.
Restons tous en repos un moment attendant que minuit sonne.
Quelques minutes encore et notre longue attente est finie !
Les semaines de Daniel ont terme, Noël commence aujourd'hui.
En ce point même l'éternité prend sa source, aujourd'hui
Le Verbe commence en nous comme il a commencé avec Dieu dans le Principe !
Acte de la pure origine à qui notre nature participe !
Ô grâce qui passe la faute ! effet qui transfigure la promesse !
Mystère d'une triple naissance honoré d'une triple messe !
Voici que nos yeux les premiers vont contempler le Verbe véridique,
Déposé sur le corporal selon l'indication de la rubrique.
Minuit sonne. Poursuivez votre chemin et entrez.
Quel cœur si dur qui ne se fonde au spectacle qui nous est présenté !
Lui qui nous aime tant, qui ne l'aimerait de son côté,
Et n'aurait les larmes aux yeux, prenant entre ses bras, ce petit pauvre ?
Et si quelqu'un de vous doute encore, qu'il se range à l'écart et vérifie
Ce papier où pour lui depuis Moïse j'ai recensé les prophéties.
Car aujourd'hui un enfant nous est né, un tout petit nous a été donné,
Une tige est sortie de David, une fleur de la racine de Jessé,
La personne de David est issue du sein de la Vierge sans péché !
Voici la chair de notre chair, voici l'Enfant-avec-Dieu que nous avons fait,
Restituant le plein héritage que Satan nous dérobait,
Et son nom est appelé Admirable, Conseiller,
Dieu-fort, Père-du-Siècle-futur, Prince-de-la-Paix !
Poursuivez, je vous le dis, et entrez, car pour moi je reste où je suis.
Mais que chacun d'abord pour Jésus prépare ce présent qu'il a pris.
Qui est fort bien né, comme l'atteste une étoile de cuivre, en ce lieu précis
Que garde de nos jours un soldat turc, la baïonnette au fusil.
Puis frappez, et qu'à la Mère tout d'abord cette mère soit amenée,
Qui, tout le lait de la femme en fleur à ses yeux, apporte son fils premier-né ;
L'ignorant qui apporte son ignorance, le pécheur qui apporte son péché,
Le commis sans avenir, l'écrivain qui comprend qu'il n'a point de talent,
Le débauché à qui tout d'un coup se remet un cœur innocent,
L'officier qui apporte sa croix d'honneur, la veuve son anneau de mariage,
Et le vieillard le registre de sa vie avec le buvard à la dernière page.
Pour moi qui n'ai rien que l'on ne m'ait donné, content de vous avoir menés jusqu'ici,
Ainsi qu'un bon domestique je reste dehors dans la nuit,
Comme Moïse devant le Buisson ardent pendant que le Seigneur lui parlait,
Considérant, d'un cœur fervent et profondément satisfait,
Cette porte fermée que cependant traverse la splendeur du lait !
Salut, femme à genoux dans la splendeur, première-née entre toutes les créatures !
Les abîmes n'étaient pas encore et déjà vous étiez conçue.
C'est vous qui avez fait que dans les cieux la lumière indéficiente est issue !
Quand il faisait une croix sur l'abîme, le Tout-Puissant avait placé devant lui votre figure,
Comme je l'ai devant moi dans mon cœur, ô grande fleur-de-lys, Vierge pure !
Vous avez porté votre créateur, vous l'avez engendré sous votre ceinture,
Marie, notre sœur, a cru, la femme a entouré l'homme, de toutes parts,
Un petit être nu est blotti sur le sein de la Déipare !
Comme le Fils sur le cœur de l'Ancien-des-Jours à qui est l'Amen et le Royaume !
Paradis raisonnable de Dieu, traîne-nous à l'odeur de tes baumes !
Comme Lui-même à qui dans son éternité manquait la douceur de votre lait.
« Ouvrez-moi, ma sœur, ma colombe, mon amie, mon immaculée ! »
Livre enfin l'homme à son Dieu, porte royale et descellée !
Ô cœur des torrents de la nuit en qui d'un ineffable accord,
La couleur d'argent de la colombe se mêle à la pâleur de l'Or !
Cependant une rumeur confuse emplit la terre et les champs.
Il commence sur la terre un cri, il commence dans le ciel un chant.
Les pasteurs, crosses en mains sur le troupeau, figure de ceux de l'Église,
Ecoutent la bonne nouvelle qu'un Ange leur évangélise,
Et cette phrase : Gloire et Paix, dans le ciel ouvert qui d'un Ordre à l'autre est répétée,
Gloire dans la hauteur à Dieu et sur la terre
Paix aux hommes de bonne volonté !
Le Prodigue qui parmi les blasphèmes tout-à-coup a le sentiment de la musique
Se lève, il veut voir, et de l'ongle gratte la vitre de la maison publique.
Car déjà les pasteurs se sont mis en marche et toute la terre s'ébranle derrière eux,
Au pas de ces joueurs de musette, parmi lesquels le plus vieux,
Portant le tambour de la compagnie que des deux mains il frappe à coups valeureux !
Peuples ! Iles ! entendez, nations englouties ! ô vous tous à qui l'on a fait tort !
Le dur Israël est rompu, la flamme de Dieu brille librement au dehors !
Une lumière est née à ceux qui habitaient la région de l'ombre de la mort !
Voici que je briserai sur vous le joug de l'exacteur ainsi qu'au jour de Madian,
Vous avez été vendus pour rien, dit le Seigneur, et moi je vous rachèterai sans argent.
Ne crains point, ô ver ! Je ne t'ai point oublié.
Est-ce qu'une mère oublie son enfant ?
Et si elle l'oubliait, et moi je ne t'oublierai pas, dit le Seigneur Dieu Tout-Puissant.
Qu'est cela qui m'est arrivé que mon peuple m'est enlevé gratis ?
Je n'ajouterai pas davantage que sur ma terre passe l'immonde et l'incirconcis.
Lève-toi de la poussière, ô captif, et entends mon nom en ce jour-ci :
Car moi-même qui vous parlais, dit le Seigneur, me voici !
Anges de la Perse et des Grecs ! Ange de Rome !
Ange du Nord et de ceux de la mer !
Ô pasteurs de peuples aveugles dans la nuit ! veilleurs d'une veillée amère !
Depuis assez longtemps comme un cri que les soldats répètent de tour en tour,
D'un bout du monde jusqu'à l'autre vous vous passez la question vers le jour !
Maintenant comme le sous-diacre du diacre, et celui-ci de l'officiant, lorsqu'il a reçu la paix,
S'en va vers le premier de ses frères ordonnés dans le chœur et le saluant avec respect,
Lui met les deux mains sur les épaules et la joue contre la joue :
Ainsi le messager qui va d'un bagne à l'autre, annonçant la levée de l'écrou.
Et bientôt, au milieu de la fumée et de l'or et du feu, du pontife qui officie à l'autel,
Précédé de l'encensoir et des trompettes, se détache le cortège solennel
Du héraut qui monte à l'ambon, proclamant l'évangile universel !
« Il est né, le divin Enfant ! » Et vous aussi, quel est ce chant ! Écoutez !
Vous, Anciens, que l'Enfer encore retient dans sa vaste capacité !
La racine obscurcie à la fleur de sa feuille sent éclore sa bénédiction.
L'arbre de Vie où naît le fruit éternel tressaille dans ses générations :
Voici le mâle admirable qu'une Vierge met dans les bras de Siméon !
Mères et patriarches, réjouissez-vous, ancêtres de Jésus-Christ !
De l'os qui est issu de vos os sort le Vengeur dont il est écrit.
Et bientôt au travers de tous les morts l'un sur l'autre engendrés qui le recouvrent,
La terre jusqu'au profond Adam tremble et s'entr'ouvre !
De la gêne et du noir cachot s'élèvent les voix exténuées
Des âmes gémissantes et disantes : ô mon fils, tu es arrivé !
Jusqu'à ce que le Vivant lui-même demande passage à ce seuil de la Mort qu'il n'a point créée,
Et que précédant l'Ame-Dieu, au Samedi de sa descente,
Un Ange d'un coup formidable heurte aux portes retentissantes !
Mais déjà l'aube blanchit sur le désert, de ce jour qui ne finira plus,
Le point de notre premier jour chrétien, l'an Premier de la grâce et de notre salut !
Ici-bas et ci-après Dieu est avec nous pour toujours,
Pour tant que nous serons à lui, et pas même ! Car le propos en nous est court.
Et tout de suite nous allons refaire le mal, mais nous avons un recours
A ce cœur dans le tabernacle qui est si faible pour nous et si plein d'amour !
C'est vraiment le jour de Noël tout d'or pur qu'aucun mal ne corrode.
Demain, puisqu'il le faut, nous servirons le cruel Hérode,
Reprenant l'outil de l'artisan et le siège de l'employé.
Moi, j'habite la joie divine, comme Joseph le charpentier,
Voyant à côté de moi ce petit enfant, qui est Notre-Seigneur,
Et Marie, notre mère, qui ne dit rien, et conserve ces choses dans son cœur ».
Ainsi soit-il.
Paul Claudel (1601-1680) – « Corona benignitatis anni Dei », Chant de marche de Noël, pages 185-199, aux éditions de la nouvelle revue française, 1915
Voir également de Paul Claudel :
- La Prière de Paul Claudel « Mon Dieu, il est dur de garder tout son cœur »
- La Prière de Paul Claudel « Seigneur, Vous nous êtes entièrement désirable »
- La Prière de Paul Claudel « Seigneur, je Vous remercie de m'avoir ainsi attaché ! »
- La Prière Mariale de Paul Claudel « Parce que Vous êtes Marie, Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée ! »
- La Prière de Paul Claudel « Ô Dieu caché dans la femme ! »
- La Prière de Paul Claudel « Ô Seigneur, éclaire-moi que je n'aille pas comme un dort-debout à ma perte ! »
- La Prière de Paul Claudel « Ô mon Dieu, je suis devant Vous passionné, hagard, misérable »
- La Prière de Paul Claudel « Dieu, mon Dieu, pourquoi T’es-Tu mis à m’abandonner ? »
- Le Poème de Paul Claudel sur Saint Joseph « Quand les outils sont rangés à leur place et que le travail du jour est fini »
- La Prière de Paul Claudel « Joseph, obtenez-nous le silence ! »
- La Prière de Paul Claudel à son Ange Gardien « Nulle route n'est si raide qu'un Ange ne nous précède »
- La Prière de Paul Claudel pour le Dimanche matin « En ce Septième Jour que Vous fîtes, Seigneur, quel est votre Repos, si ce n'est dans mon cœur ? »
- Le Poème sur la Visitation de Paul Claudel « La Mère de Saint Jean-Baptiste regarde la Mère de mon Dieu ! »
- Le Chant de marche de Noël de Paul Claudel « Allons, il est l'heure de partir, y sommes-nous tous, les enfants ? »
- Le Chant de l'Épiphanie de Paul Claudel « En ce petit matin de l'An tout neuf dans le rayonnement de l'Épiphanie »
- Le Poème sur la Présentation de Jésus au Temple de Paul Claudel « Quand Marie monte au Temple de Jérusalem pour y présenter son Fils premier-né »
- Le Poème de Paul Claudel sur la Transfiguration du Seigneur « Montons au Thabor avec Lui : Jésus est mûr »
- La Prière de Paul Claudel sur la Nuit de Pâques « Entre le Samedi-Saint et Pâques, la nuit n’est pas faite pour dormir ! »